Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
lieux communs (et autres fadaises)
9 février 2006

les autres

       " On lutte contre sa propre superficialité, son manque de profondeur, pour essayer d'arriver devant autrui sans attente irréaliste, sans cargaison de préjugés, d'espoirs, d'arrogance ; on ne veut pas faire le tank, on laisse son canon, ses mitrailleuses et son blindage ; on arrive devant autrui sans le menacer, on marche pieds nus  sur ses dix orteils au lieu d'écraser la pelouse sous ses chenilles ; on arrive l'esprit ouvert, pour l'aborder d'égal à égal, d'homme à homme comme on disait jadis. Et, avec tout ça, on se trompe à tous les coups. Comme si on n'avait pas plus de cervelle qu'un tank. On se trompe avant même de rencontrer les gens, quand on imagine la rencontre avec eux ; on se trompe quand on est avec eux ; et puis quand on rentre le soir, et qu'on raconte la rencontre à quelqu'un d'autre, on se trompe de nouveau. Or, comme la réciproque est généralement vraie, personne n'y voit que du feu, ce n'est qu'illusion, malentendu qui confine à la farce. Pourtant comment s'y prendre dans cette affaire si importante - les autres - qui se vide de toute la signification que nous lui supposons et sombre dans le ridicule, tant nous sommes mal équipés pour nous représenter le fonctionnement intérieur d'autrui et ses mobiles cachés ? Est-ce qu'il faut pour autant que chacun s'en aille de son côté, s'enferme dans sa tour d'ivoire, isolée de tout bruit, comme les écrivains solitaires, et fasse naître les gens à partir des mots, pour postuler ensuite que ces êtres de mots sont plus vrais que les vrais, que nous massacrons tous les jours par nôtre ignorance ? Le fait est que comprendre les autres n'est pas la règle, dans la vie. L'histoire de la vie, c'est se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement, et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C''est même comme ça qu'on sait qu'on est vivant : on se trompe. Peut-être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui, et continuer rien que pour la balade. Mais si vous y arrivez, vous... alors vous avez de la chance."

( "Pastorale américaine" Philip Roth)

imgp6247

Commentaires
K
Et oui… C'est dingue de se dire que seul le langage est notre petit lieu commun à tous (l'image et la musique étant encore plus approximatifs), la seule petite passerelle qui nous permet de nous rencontrer… Mais même si on était télépathe, on arriverait pas à se comprendre encore car même communs à nous tous, les mots n'ont pas exactement la même valeur d'une personne à l'autre… Même la définition la plus précise peut être interprétée différemment d'un individu à l'autre.<br /> Donc ne pas chercher à être trop précis, ne pas chercher la communication parfaite, aimer le diffus et suivre son instinct, loin des mots…
Répondre
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 384 392