chat
Ce matin je suis allé chez le boucher
(voici le genre de phrase qui, prononcée comme ça de but en blanc, à la légère, risque -je le sais bien- de provoquer un arrêt cardiaque au lecteur / à la lectrice moyen(ne), et d'être dès tout de suite à la une de toutes les revues pipaul de france et de navarre. J'aurais du prendre des précautions oratoires, mettre quelques paires de gants, vous déballer la nouvelle en douceur... trop tard, le mal est fait. Combien reste-t-il de survivants parmi vous ?) pour acheter du boudin (deuxième scoop à retentissement planétaire , et deuxième risque d'infractus parmi les survivants de mon lectorat ; oui, j'avais envie de boudin, mais du bon fait maison pas du boyau industriel, avec de la sciure et de l'anticoagulant dedans).Faisant -donc- la queue calmement derrière une mamie bourgeasse qui faisait visiblement des provisions en prévision de la 3ème guerre mondiale, en jacassant aussi écervelément qu'une perruche, puis un grand monsieur qui achetait des barquettes et des barquettes et des barquettes de couscous semoule harissa & co, et un dernier monsieur, en rouge, plutôt porté sur les terrines, j'avais tout le loisir (comme on dit dans les romans) de regarder autour de moi.
En face de la porte d'entrée, posé sur une chaise, devant le rayon des petits pâtés, était installé un plutôt gros gamin, les jambes croisées en position quasiment du lotus, habillé sport (la marque à la virgule jcrois) et dont la forme des yeux et le port de tête indiquaient sans erreur possible qu'il était trisomique. L'observant à la dérobée, puis observant le boucher, je n'ai pas pu m'empêcher d'établir des points de comparaison et de trouver à ce dernier (le boucher, donc, vous suivez ? ) une certaine ressemblance avec l'enfant installé sur la chaise.
Il me faisait penser à un gros chat. il était installé là, paisible, la tête qui dodelinait, comme un peu absent, je l'ai vu s'étirer, bailler, et, quand je l'ai regardé à nouveau, il s'était endormi, au soleil, toujours posé nickel sur sa chaise. Le boucher continuait à plaisanter avec la mamie bourgeasse, je me disais que c'était quand même bizarre qu'il installe son gamin comme ça, sur une chaise, face à la porte d'entrée, qu'il en fasse en quelque sorte étalage, et qu'il fasse ensuite comme s'il n'existait pas. Pas un mot, pas un regard, rien. Un boucher provo ? Personne d'ailleurs dans le magasin n'avait l'air d'en faire de cas.
J'ai donc enfin acheté mon boudin. Quand je suis sorti, le gosse sur sa chaise dormait toujours. Lorsque je me suis arrêté chez le marchand de primeurs, juste à côté, pour acheter des pommes (pour manger -bien entendu- avec le boudin), est alors entré à son tour le monsieur en rouge qui achetait précédemment des terrines, tenant par la main le garçon en question - réveillé et descendu de sa chaise- que j'avais pris pour le fils du boucher.
Je ne suis pas resté assez longtemps pour voir s'il l'installait à nouveau sur une chaise.