ariège
LES TEMOINS
d'André Téchiné
D'aussi loin que je me souvienne (mais je peux me tromper) c'est la première fois que, en voyant un film, je m'identifie à Michel Blanc. Oui, comme je vous le dis. Dans ce film-là, précisément. Non pas que les autres personnages ne le méritent pas (je les aime tous, TOUS!) mais, bon, le pédé cinquantenaire amoureux transi d'un petit jeune, (qui veut bien lui confier son blouson à surveiller pendant qu'il va tirer un coup dans les buissons) le pédé qui se contente de peu et a la gentillesse de ne pas en demander davantage, le pédé qui vit "plus du côté de la mort que de celui de la vie", comment voulez-vous que je fasse autrement que d'avoir pour lui une certaine tendresse et de m'y identifier grave ?
Comme je viens de le dire, les personnages sont forts, mais parce que tous les acteurs qui les incarnent sont -déjà d'habitude excellents- mais là carrément en état de grâce (comme dirait Téléramuche.) Mention spéciale aux filles : Emmanuelle Béart, d'une grâce à couper le souffle et Julie Depardieu, de plus en plus tchékhovienne, mais la mâlitude n'est pas en reste : Michel Blanc en tête, qui nous la joue sobrissime, sans tomber toutefois dans la glaciation de Monsieur Hire, Johan Libéreau, tout frais sorti de ses Douches froides (de torride mémoire) compose un Manu dans la lignée du personnage de Manuel Blanc (qu'est-il donc devenu ?) dans J'embrasse pas (comme lui, il vient d'ariège, ce qui me touche spécialement puisque -cocorico! j'en suis aussi!-), mais en plus souriant, en plus désinvolte, et, je crois bien que j'ai gardé le meilleur pour la fin, Sami Bouajila qui ici justifie -et même transcende- tout l'extrême bien que je pensais de lui (depuis, notamment Drôle de Félix). Ce mec-là, il est grand!
Tous sont d'une justesse extrême. Comme le film d'ailleurs. Cette chronique amoureuse et sociale des "premiers temps du sida" a le bon goût de rester digne (pas donc ici de danse au ralenti avec la perfusion sur fond d'opéra à la Philadelphia, désolé de vous décevoir les copines...), même si, justement, la partie du film qui traite de la maladie (très cliniquement, il y a l'avant, le pendant, et l'après) est peut-être -à mon goût- la moins forte, disons plutôt la plus fragile. Soleil, pluie, soleil. Vie, mort, et vie.
Un vieux pédé, un jeune pédé, sa soeur, un bisexuel, et sa femme sont les cinq figures de proue de ce periple affectif, figures qui vont se croiser, se parler, s'aimer, se fuir, se chercher, se trouver. Se perdre aussi parfois. (Il y a même, -clin d'oeil à Barocco ? - un bébé qui reste longtemps sans prénom). Le médecin, le flic, sa femme et son amant (pour paraphraser vaguement mon ami Greenaway), ou encore Manu, Mehdi, Adrien, Sarah, Julie, et les autres, pour clind'oeiller l'ami Sautet. Je reste exprès dans le champ des références cinématographiques extérieures, car, tel quel, le film -mais j'avais décidé d'être attentif à cet angle d'attaque-là- me semble chargé de références internes et de clins d'oeil à la filmo de Téchiné (mais peut-être sur ce coup-là me trompe-je)
Je n'ai aucune envie de vous raconter l'histoire (mais les sons de cloche des média vous auront peut-être déjà filé le bourdon à ce sujet), sachez juste que, comme je l'ai déjà dit, j'ai vraiment trouvé la première partie, solaire, sublime (heureusement qu'on était que trois, disséminés dans la salle -c'était la première séance- parce qu'il y a vraiment des moments où j'étais tétanisé d'émotion...) Sans pouvoir critiquer vraiment la seconde, je ne sais pas mais peut-être que cette apparition / évolution de la maladie (à la fois sur le plan personnel et sur le plan public) n'est pas facile à exposer ; disons qu'elle est moins confortable, plus documentaire, parce que justement c'est difficile de réagir quand ça vous arrive, ou quand on a peur que ça ait pu vous arriver. Manu est un genre de comète qui va venir perturber un sytème solaire pré-établi (le mari, la femme, l'ami) et bousculer sa belle ordonnance un peu convenue. La vie, quoi.
Ce qui est très bien, c'est, comme souvent chez Téchiné, les petites histoires annexes (inutile de le dire : les personnages dits secondaires sont tout aussi excellents que les principaux) et cette façon de dire des choses très justes (sur le sida, la drague, l'amour, la sexualité, le vieillissement, l'homosexualité) ou plutôt de les faire dire, ces choses très justes, aux personnages, qu'elles soient prononcées, écrites, enregistrées, ou même chantées. Car on chante pas mal dans ce film. Et Philippe Sarde nous a musiqué ça (j'ai scruté le générique mais je n'y ai rien vu d'autre) avec une partition qui évoque furieusement -si ce n'est pas lui- le Philip Glass de The Hours (autre film que j'adore) autant dire si j'étais bien! Il me semble bien que c'est un de mes Téchiné préférés, juste à côté des Roseaux Sauvages...
La seule petite réserve que je pourrais émettre concerne le -relativement happy-end. A vouloir ainsi que chaque personnage trouve forcément un genre de bonheur m'a semblé un peu deux ex machina, mais, en y pensant, ça sert peut-être juste uniquement à nous prouver qu'on est bien au cinéma, et que même si ça ressemble à la vie, ça n'est pas du tout la vraie vie.
Quoique (...)
(et aussi -à propos de réserve, mais là j'encule un peu les mouches, cette scène où les favoris de sami b. ont soudain changé de forme...-)