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lieux communs (et autres fadaises)
3 mars 2009

"puceau suréduqué de 27 ans"

GRAN TORINO
de Clint Eastwood

Vacances cinochement intenses. Trop riches! A quelques jours d'intervalle, un second coup de coeur, dans un genre on ne peut plus diamétralement opposé à la jeunette Maïwenn : le vieux Clint himself ! Je l'aimais bien , jusque là, même si je n'étais pas un fan inconditionnel comme certain(e)s (...) mais là je dois dire que je suis béat : j'ai passé deux heures d'intense bonheur cinématographique, entier, total, sans recul et sans me poser de questions, juste à fond dans le film, avec des émotions jusque là. D'un bout à l'autre j'ai été dedans, sans faillir.
Et pourtant, au début, le vieux Clintounet, il nous charge bien la mule. Portrait d'un vieux con intégral, facho, grincheux, asocial, dont les seuls plaisrs sont de tondre sa pelouse, d'astiquer sa vieille (mais rutilante) bagnole et de ronchonner sur le monde en général et ses voisins en particulier. Il est l'un des derniers blancs à vouloir rester dans un quartier habité par les minorités ethniques, latino mais, en majorité, asiatique. Et le Clint acteur n'hésite pas à en faire des tonnes pour charger le Clint personnage : sourcils broussailleux, machoire serrée, oeil noir très noir, s'exprimant par borborygmes voire par grognements, rien ne manque au primate garanti 100% "gros con".
Le film démarre avec l'enterrement de sa femme, d'abord à l'église puis à la maison, occasion(s) d'un réjouissant tour d'horizon (sur sa famille) et du propriétaire (sur ses humeurs), dont le climax est l'arrivée du jeune prêtre qui a fait le sermon à l'église et qui souhaite confesser Clint (Walt, pardon), conformément à la promesse qu'il a faite à sa défunte femme avant son décès, et qui va se faire envoyer sur les roses, et pas de la plus civile des façons.
Walt a fait la guerre de Corée, et y est, comme qui dirait, resté coincé : autour de lui, à le croire, ce ne sont que niaks, bridés, faces de citron, et autres joyeusetés (allez, je vous en prie, boir le film en VO!). Car il tient bon, à son carré de pelouse racho et à sa terrasse défraîchie où il peut boire à loisir des bières (ricaines) sorties de la glacière (ricaines) en contemplant sa Gran Torino (ricaine) tout en ratiocinant tout son soul sur ces voisins qui lui pourrissent la vie par le seul fait d'être là. Le monde entier le fait chier, à commencer bien sûr par sa propre famille, alors ne venez pas lui parler de celle des voisins.
C'est pourtant ce qui va se passer lors d'un fâcheux concours de circonstances : la voisine, veuve, tente d'élever ses deux enfants : il y a Sue, une gamine délurée (qui n'a pas sa langue dans sa poche, on le verra assez vite), et Thao, en principe le futur mâle de la famille, en réalité un adochounet timide et mal dans sa peau qui passe son temps à jardiner (un "travail de fille" chez les Hmongs), à "faire ce que dit sa soeur", et à se faire embêter par son gangster de cousin, qui fait partie d'un gang et voudrait bien que Thao fasse comme lui... Donc, un soir, les gangsters font irruption chez les voisins en essayant de redonner une deuxième chance à Thao (qui a raté la première, où il était chargé de voler la Gran Torino dont nous avons déjà parlé, tentative qui s'est soldée par un échec cuisant) et où la soirée dégénère alors en bagarre rangée avec toute la famille, jusqu'à ce que ces insensés mettent le pied sur la pelouse de Walt, ce qui va le faire sortir illico de ses gonds et de sa baraque, le fusil en joue, et pas content du tout du tout. Il fait fuir les méchants, et, manque de bol, acquiert aussitôt auprès de la communauté un statut de héros, de demi-dieu vivant qu'ils se mettent à couvrir de cadeaux et d'offrandes, ce qui le fait encore plus râler... sans compter que le petit cureton à l'air angélique (qui donne le titre de cette chronique) ne s'avoue pas vaincu et revient sonner à sa porte...
La situation est posée, pas spécialement originale a priori, donc... Un vieux con, une jeune asiatique délurée, son frère un peu jeune et nunuchon, les méchants gansters, le gentil curé, on voit assez bien tout ce que tout ça risquerait de donner... Sauf que pas du tout. Je ne sais pas comment Clint Eastwood nous goupille tout ça, mais on reste scotché sur son siège, les yeux écarquillés, la mâchoire pendante, les larmes aux yeux ou les zygomatiques chatouillés, ça dépend, mais, en tout cas en état de sidération, de fascination... C'est incroyablement bien fait, mais j'aurais du mal à vous expliquer pourquoi.
A cause du personnage, sûrement. Entre ce qu'il est lors de la première scène (un enterrement) et la quasi dernière (un autre enterrement), et la façon dont chacun des autres personnages a grandi. Par le message, aussi, sûrement. Pas du tout violemment réac comme l'état initial du personnage (et la bande-annonce et l'affiche) pouvaient le laissait craindre (ou espérer, pour certains), bien au contraire. Mais c'est vrai qu'au début il charge tellement (et délibérément) que ça en devient très drôle: il se regarde jouer au vieux con et il se moque de lui. Un vivant catalogue des valeurs américaines. Patriotisme, racisme et sectarisme. Arghhh!
Les rapports de Walt avec ses voisins, avec les asiatiques en général, puis avec les deux jeunes, les rapports de Walt avec le curé, les rapports de Walt avec sa propre famille... bref ses rapports au monde, finalement,vont s'infléchir, se gauchir, prendre une direction inattendue pour le vieux machin plein de certitudes rances qu'il était devenu, et le message est clair : "Même si vous êtes un vieux con, ne perdez pas espoir, ça peut toujours changer!"
Et puis, (on se refait pas) j'aime bien les films où on aborde le concept de virilité (rien que le mot est plein de poils et sent l'homme, non ?), bien évidemment dans l'éducation de Thao,  où il serait question d'une certaine moralisation du concept (et ce n'est pas fait du tout pour me déplaire!) mais aussi, tangentiellement, par exemple dans les deux big scènes avec le coiffeur (des scènes que j'ai vraiment trouvées formidables, humainement (et comiquement) parlant).
Etre un homme ça s'apprend, et le sens de l'expression peut varier, entre celui qui a fait la guerre de Corée, celui qui défend sa propriété, celui veut faire partie d'un gang, celui qui veut apaiser sa conscience, celui qui veut se racheter... Eastwood nous donne à la fois une grande leçon d'humanité et une autre, de cinéma. La rigueur et la richesse formelle du matériau filmique s'allient à l'intensité des émotions (je l'ai déjà dit, on est inextricablement pris entre deux feux, entre le rire (entre humour plutôt noir  et distance ironique) et la violente et très riche mélancolie de cet autoportrait.

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