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lieux communs (et autres fadaises)
18 juin 2009

boîte en fer

LA SANGRE BROTA
de Pablo Fendrik

Une baffe. De temps en temps, un film vous fait cet effet-là. Un film qui déboule sans prévenir, auquel on ne s'attendait pas. Un film qui préexiste au spectateur en tant que système autonome, en circuit fermé, un film qu'on découvre, qu'on visite, qu'on appréhende, dans lequel on s'immerge, on s'enfonce, on tâtonne, plutôt qu'une simple trame narrative dont on suivrait benoîtement le fil(m) tendu depuis son point initial i jusqu'à son point final f, et basta.
Le film de Pablo Fendrik est doté, et c'est rien de le dire, d'une forte personnalité. L'Amérique du sud (et l'Argentine notamment) nous envoie régulièrement des objets étranges, des alcools forts, des formes pas formatées. La sangre brota se range au confluent de ces catégories.
C'est un film (chromatiquement) bleu (ou plutôt viré au bleu, et tirant -paradoxalement- vers le glacial l'incandescence qui semble régir cette fourmilière speed de Buenos Aires). C'est un film hargneux, teigneux, où la façon de filmer (le plus souvent, pour les scènes urbaines, en caméra sur l'épaule) rejoint la violence et la fébrilité qui sous-tendent les rapports des différents personnages. C'est un film mystérieux, aussi, dans la façon qu'il a de livrer en pâture (de jeter à la figure ?) au spectateur des pièces éparses,des éléments disparates, des personnages plus ou moins opaques, mais de très naturelle et dynamique façon. Fendrik ne construit pas volontairement du mystère, il ne fait que livrer une réalité brute, complexe, et multiple.
Chaque personnage (et son histoire) pourrait faire l'objet d'un film à lui tout seul, et le mélange des tous ces univers crée un méta-récit encore plus oppressant. Deux personnages se détachent  : Arturo, chauffeur de taxi quadragénaire, mutique et bridgeur, et Leandro, un jeunot destroy partagé entre sex, drugs et quasiment rock'n'roll (sauf qu'ici ça serait plutôt de la techno). Il s'avèrera au bout d'un certain temps que ces deux-là sont père et fils et que l'unique point commun (ou presque) qu'ils auront dans le film est une boîte en fer contenant les économies d'Arturo. Si le film met le spectateur dans un tel état,  ce n'est pas tant par ses scènes de violence (qui, si elles  sont paroxystiques, ne sont néanmoins pas traitées sous l'angle du réalisme gore mais plutôt "stylisées") que par le malaise permanent (et un peu paranoïaque) dans lequel il est plongé : chaque personnage, chaque situation, est source d'inquiétude, d'appréhension, on redoute à chaque fois le pire, parfois il survient,  et parfois c'est le contraire...
Si un mot pouvait résumer le film, ce serait peut-être "menace". Mais, encore une fois, ce n'est pas tant l'histoire (à la limite, le scénario n'est qu'un prétexte) que le traitement. qui importe Et là, chapeau! Vraiment, c'est techniquement (et donc esthétiquement) sidérant. Un cinéma qui vibre, qui court, qui pulse, qui halète,  parfois presque s'asphyxie mais repart aussi sec. Zigzaguant entre gestes délicats (un cheveu qu'on enléve d'une épaule une épaule qu'on masse...) et images choc (un bébé qu'on abandonnerait dans une poubelle, une langue qu'on sectionnerait d'un baiser, un visage qu'on écrabouillerait...)
Le visage androgyne de Leandro (c'est quasiment comme une fille avec une ombre de moustache) et ses cheveux emmêlés face au visage fermé et atone d'Arturo. Le sang, bien sûr. La rage. Et toutes ces combines, ces magouilles, ces trafics, ces addictions  qui grouillent tout au long  du film, le creusant de part en part (les courses, le bridge, l'ecstasy...) comme autant de galeries d'économie souterraine...
On sort de là impressionné, c'est indiscutable, et le film longtemps après passe encore dans la tête.

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