L'IMAGINARIUM DU DOCTEUR PARNASSUS
de Terry Gilliam
Un film dont ne peut pas ne pas savoir, en le voyant, qu'il n'est pas tout à fait ce qu'il aurait du être. Et pourtant, en l'état, qui vous laisse coi. (Vous n'êtes pas sans savoir que j'ai l'enthousiasme facile, mais bon, là, je suis encore une fois bouche-bée.)
Avec Terry, c'est une longue histoire (pas d'amour mais presque), avec des films que je porte dans mon coeur (FisherKing en première place, mais, pas loin derrière, Brazil, Munchausen, Bandits bandits), et d'autres pas vus (Tideland) ou moins aimés (Las Vegas parano, L'armée des 12 singes), voire oubliés (Les Frères Grimm). Il fait, de droit, partie des réalisateurs dits "que j'aime beaucoup".
Chez Terry Gilliam, la thématique est en général assez simple et basique : le Bien d'un côté, et le Mal de l'autre, qui se bouffent le nez, chacun essayant de piquer sa place à l'autre. Les riches et les pauvres. Les méchants, les gentils. Ca c'est le squelette narratif, qu'il va recouvrir avec plein de trucs et de machins qui vont nous faire faire oooh et aaah. Qu'il va enjoliver, enluminer. Donc, ici, qui s'affronte ?
Le Diable ? Soit ; ici, il est joué par Tom Waits, et il a pas l'air si méchant que ça , a priori (mais bon, faut toujours se méfier avec ce gugus-là). Et le gentil en face de lui ? Le Docteur Parnassus du titre (Christopher Plummer), un immortel devenu mortel et père d'une demoiselle qui va fêter ses seize ans, et à qui il doit avouer justement ce jour-là, (celui de son anniversaire), qu'il l'a perdue en pariant (et en perdant) contre le diable, qui vient justement pour récupérer son bien... On craindrait presque la bondieuserie, non ? D'autant plus qu'entre les deux (on ne saura finalement que très tard de quel côté il penche) se dresse Tony, un amnésique (boni)menteur sauvé de la pendaison, (joué par Heath Ledger), qui pourrait bien figurer un St Michel archange, non ? ou mieux, un St Georges terrassant le dragon (aurais-je trop fumé d'encens et bu de vin de messe ?) Le combat, donc, est épique.
Comme je l'ai dit plus haut, vous ne pouvez pas ne pas savoir que le jeune homme en question est mort d'un excès médicamenteux en plein milieu du tournage, ce qui laissait -une fois de plus- notre ami Terry G. un peu dans la panade. Mais bon, il a l'habitude des catastrophes, hein, et il n'a eu qu'a faire un peu phosphorer ses méninges (et celles du/des scénaristes(s) ?) pour réussir à finir le film avec une belle idée : remplacer Tony par des alter egi ( ?) chaque fois que celui-ci passe de l'autre côté du miroir (oui, oui, c'est le miroir qui ouvre la porte sur l'Imaginarium du titre), qu'il demandera à des amis du défunt de jouer (et quels amis! Johnny Depp, Jude Law, et Colinchou Farrel!).
On le sait, Terry Gilliam (euh, tiens, comme Jean-Pierre Jeunet ?) a une certaine tendresse pour les gueux, les déshérités, les laissés-pour-compte, les saltimbanques, les hors-système, (et les personnes de petite taille, aussi!) et la petite troupe de ce vieil alcoolo de Docteur Parnassus est un peu tout cela, qui essaie de survivre, traînant le long des rues sa petite carriole miteuse en apparence mais qui sait offrir à celui/celle qui osera traverser le miroir des trésors insoupçonnés. En face d'eux ? Des fêtards du samedi soir, des bourgeasses de la cinquième avenue, des mafieux russes d'opérette, qui vont successivement offrir leurs âmes qui à dieu qui à diable (j'enlève les majuscules, sinon je vais avoir l'impression de réécrire la bible...)
Chez Terry Gilliam, on sait, encore, la collision/collusion entre le Moyen-Age et l'aujourd'hui, des temps héroïques contre les temps modernes, de l'imagination contre la réalité (le réalisme ?), bref de l'illusion contre les certitudes. Et cette alternative est ici doublement présente, d'abord par le passage du miroir, comme (af)franchissement du réel, ensuite par le choix qui s'offre au "joueur", entre les deux possibilités offertes par les deux maîtres de jeu, le Diable et Parnassus. Et, même si c'est (presque comme toujours) joué d'avance, plastiquement, il s'en passe de belles, de l'autre côté du miroir... Car l'affontement "immémorial" entre les deux forces est prétexte à tout une inventivité qui relève directement du monde onirique /cauchemardesque.
Bon, tout cela doit vous sembler un peu confus, comme le film lui aussi peut l'être parfois (il y a des moments où on s'embrouille un peu dans l'histoire, mais tant pis, hein, on est chez Gilliam, et le souffle romanesco/épique nous gonfle suffisamment les voiles du cerveau pour qu'on accepte les quelques faibesses longueurs et mou-du-genoueries passagères dont souffre parfois le scénario. Les scènes dans l'Imaginarium sont suffisamment chiadées pour emporter l'adhésion (tiens, les Inrockchounets et Libé ne semblent pas du tout aussi enthousiastes que moi -mais je ne suis qu'un benêt provincial- et en seraient presque au coude à coude du pinçage de nez au-dessus de la poubelle...) et faire passer au spectateur un sacré bon moment de cinoche (même si -trois fois hélas-) en VF dans le bôô cinéma.
(je pense que le titre du film est un des plus invendables de l'histoire du cinéma, mais bon...)