TOURNÉE
de Mathieu Amalric
J'avais eu envie d'abord, puis plus trop, et finalement après une journée de cartons je me suis résolu à me changer les idées en y allant, faute de mieux, me disais-je.
Et j'ai drôlement bien fait. Sinon je serais passé à côté d'un film superbe. Profondément humain, d'une force et d'une énergie peu communes.
Un film à l'image du personnage joué par Mathieu Amalric, cabossé, surprenant, touchant, étonnant, attendrissant, énervant, et qui me réconcilie avec lui. Mais Tournée est, tout autant, à l'image des divines créatures qu'on y voit : clinquant, trop maquillé, fort en gueule, emplumé, pailleté, festif, rigolard, brillant et glamour en surface, avec un je ne sais quoi d'indéfectible vague à l'âme, bien caché, tout au fond...
Original, magnifique, inclassable...
(On pourrait continuer comme ça longtemps.)
Ça fait vraiment du bien de voir un film comme ça (bon, d'accord, ça faisait un certain temps que je n'étais pas allé au cinéma) mais mes voisins étaient tout à fait du même avis que moi à la sortie, et nous affichions d'ailleurs tous trois le même sourire béat.
En même temps tellement simple et tellement profond.
La réussite du film doit, bien évidemment, beaucoup à ses interprètes féminines (celles qu'Amalric a fait monter sur scène à Cannes, en recevant son prix de la mise en scène, en leur disant "Vous êtes ma mise en scène..."). Le film nous les montre on stage,(un peu), mais, aussi, principalement, off, et c'est là bien sûr qu'il prend toute sa force.
Le "new burlesque". Des femmes "hors-norme" pour un spectacle de strip-tease hors-normes lui aussi.
Une "tournée des ports français" (Le Havre, La Rochelle, Bordeaux, Toulon...) avec le rituel déroulement quotidien, répétitif par définition : voyage, arrivée, installation, répétition, spectacle, hôtel nuit blanche, champagne... tous ces interstices du quotidien où transparaît soudain autre chose...
On verra pas mal de trains, et autant de halls et de chambres d'hôtel, "à certaines heures pâles de la nuit", comme chantait Ferré.
Le film zigzague entre les girls et leur coach, Joachim (Amalric, perfect). Comme un papa-poule au milieu de cette volière où s'ébattent divers oiseaux de nuit fort emplumés. Il les poupoune, il les surveille, il les protège ? On n'est pas sûr...Pour une sombre histoire de salle qui leur fait défaut, Joachim est obligé de "remonter" à Paris, tirant de vieilles sonnettes, tentant de rouvrir certaines vieilles
portes qu'il aurait -en apparence- lui-même autrefois claquées,
rencontrant des gens (dont on n'est pas sur toujours de savoir qui ils
sont exactement), sans que pour autant tous les points ne soient mis
sur tous les i....
Le film va alors un peu faire le grand écart (c'est de circonstance!) pour nous en apprendre un peu plus sur chacun, de part et d'autre.
Le départ de Joachim est marqué par une scène avec une employée de station-service, (scène) tellement parfaite qu'elle en donnerait presque des frissons, et qui prouve, s'il le fallait, à quel point Mathieu Amalric a amplement mérité son prix de la mise en scène. Tellement simple, tellement belle, tellement facile en apparence. Tellement forte.
Oui, on est fasciné, par cet homme par ses tics (baisser le son de la télé, voler des bonbons par poignées...) et par sa troupe, avec ces face-à-face dont on ne sait jamais à l'avance s'ils finiront en duo ou en duel. Engueulade ou câlin ?
C'est d'autant plus fort que le scénario n'a pas véritablement d'enjeu dramatique, ou, s'il fait semblant d'en avoir un au départ, celui-ci va progressivement se désagréger au fil du film, le faisant du coup devenir quasiment presque abstrait, laissant basculer le récit sentimentalo-ferroviaire "réaliste" dans un autre part (la dernière séquence, est, à cet égard exemplaire).
Un film qui vous accompagne longtemps, même si on a le sentiment, pendant la projection, qu'à un moment où ça "retombe un peu", que l'admiration laisse place à... autre chose (mais, c'est normal, trop de rcnstance dans la virtuosité pourrait devenir.. lassante. Oui, sûr, le champagne ne peut pas faire des bulles tout le temps tout le temps...)
Alors, se laisser porter, lâcher prise, oui oui, on les aime tous, oui oui, on les aime toutes...
Euh, s'il vous plaît, on pourrait avoir une autre bouteille ?