le berger, le chevreau et le sapin
LE QUATTRO VOLTE
de Michelangelo Frammartino
Et voilà... encore une fois, Hervé avait raison... Comme il insistait fort pour qu'on programme ce film dans le bôô cinéma, j'ai voulu aller me rendre compte par moi-même. Effectivement, encore une fois, il avait raison!
C'est donc un film italien (un deuxième film) réalisé par un monsieur très au fait des problèmes de cadrage, de lumière et de prise de vue. C'est... somptueux. quelque soit le plan, neuf fois sur dix c'est beau (comment le dire autrement ? on le sent dès le générique, le parti-pris du réalisateur : simplicité (police blanche sur fond noir, pas de musique) pas austérité mais presque, pas radicalité mais peut s'en faut. Et le film est à son image : quatre parties (enfin, je dirais trois et demi) :la première centrée sur un vieux berger, la seconde sur un chevreau, la troisième autour d'un sapin... aucun dialogue, ou quasiment (on entend le berger prononcer un grazie, les autres conversations présentes sont sciemment inaudibles.) Avec à chaque fois un noir suffisamment long pour qu'il provoque l'attente, le désir de ce qui va suivre. Simplissime en apparence, mais on a le sentiment que rien, absolument rien, n'a été laissé au hasard. Du grand grand art, donc, qui fait retrouver au cinéma son sens premier, écrire avec la lumière. un film quasi expérimental, donc, mais d'une beauté constante, profonde, "absolue" pourrait-on dire.
Qui ne fait que retranscrire des actes, des gestes immémoriaux, des survivances, que notre oeil de citadin contemporanéo-blasé pourrait taxer de pittoresques voire même d'inventées (de l'usage de la poussière d'église, des escargots, de la ficelle autour du museau, des casques romains, du mât de cocagne, du charbon de bois...) pour faire jolies, sauf que pas du tout. Villages hors du temps, dirait le poète...la narration est, je le répète, économe (je pensais Straub, Cavalier, le réalisateur évoque Bresson...) austère sans être fastidieuse ou rédhibitoire, d'autant plus que le réalisateur nous gratifie d'un "film dans le film" une perle, une leçon de cinéma (on pourrait alors penser à Tati) avec un camion, une rue en pente, un chien, un troupeau de chèvres, et une procession (et les notions de "champ" et "contrechamp") qui pourrait à lui seul justifier de voir le film.
J'emploie des grand mots, mais il ne faudait, peut-être, justement pas. pas intellectualiser, juste recevoir, s'abreuver des images, se laisser porter... par ce flux infiniment simple et beau, paisible, concrètement abstrait, lyriquement réaliste, parfaitement refermé sur lui-même.
Un coup de maître, donc (j'aimerais bien voir le premier film du réalisateur, datant de 2003 et bénéficiant, dixit la critique, de la même économie de moyens...)