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lieux communs (et autres fadaises)
23 mars 2014

comme des voleurs

Si, étymologiquement, une musique peut être déconcertante, peut-être alors qu'une danse pourrait être déballetante ? ou détutuante ? sans doute un nouvel adjectif qu'il faudrait pour qualifier ce magnifique et singulier Salves (déjà, accorder deux adjectifs au masculin singulier à une titre féminin pluriel…) de et par et avec la Compagnie Maguy Marin (la chorégraphe elle-même était là, assise dans la salle, et est venue saluer à la toute  fin des rappels qui furent enthousiastes, certes, mais pas excessifs,  moins dithyrambiques, par exemple, que ceux provoqués par Kader Attou et sa compagnie Accrorap quelques semaines auparavant.)
Il semble que pas mal de spectateurs aient été désarçonnés, déstabilisés, (déçus ?), de voir un spectacle qui n'était pas de la "vraie" danse. Et pourtant…
Un plateau comme en chantier, en construction : des cloisons  grisâtres percés d'ouvertures, au travers desquelles on entrevoit des tas de planches qui vont servir à construire les éléments du décor (des "tables", principalement, de nombre, de taille, et de situations variables) où vont évoluer les huit interprètes.
Si la mise en route est "gentille", se faisant sans bruit et en pleine lumière, avec l'arrivée successive des danseurs sur le plateau (le premier sort des coulisses, les autres sont assis dans la salle), chacun suivant et repassant à l'autre (au suivant, justement) un "fil" plus ou moins (in)visible, la suite va plonger le spectateur dans une obscurité, ou semi-obscurité, percée de plus ou moins brèves trouées lumineuses permettant d'appréhender des micro-(s)cènes, des détails, des fragments, sortant brutalement de l'ombre et y retournant quasiment aussi sec.
Des gestes, des actions, des mouvements, qui vont ainsi se succéder, s'organiser, se répéter, à l'identique ou avec des variations, proposant au spectateur des lambeaux de fiction, des morceaux d'histoires, qui se jouent, se rejouent, se déjouent, noir/lumière/noir, dans une ambiance qui serait assez justement celle des rêves -ou des cauchemars-, avec cette façon qu'ont les images de l'inconscient de biaiser, de parfois s'organiser de façon récurrente, insistante, obsessionnelle, d'inquiéter sourdement en générant parfois un éclat de rire, quasiment à l'improviste ou en vous permettant de vous réveiller -clic!- quand ça devient trop pesant et que le coeur s'emballe… Répétitions ? Des tableaux qu'on trimbale, des tables qu'on met (ou qu'on essaie de mettre), des assiettes qu'on casse, des yeux qu'on cache, des gestes qu'on esquisse, d'autres qu'on esquive... Et des icônes aussi -des clichés- La liberté guidant le peuple, la statue de la liberté, une phrase de Beckett, Marianne, un ancien et honni président de la république, Elvis, bref des représentations, des signets, des citations, en rapport avec l'art, la culture, la politique, l'individu... qu'on verra, passer de mains en mains , repasser, être affichés (revendiqués ?), être accrochés, tenir, puis tomber, se casser, être ramassés...
Ca n'arrête pas de circuler dans tous les sens clic clac noir lumière noir, et j'avoue avoir pris un énorme plaisir -cérébral- à tout ce chahut très minutieusement organisé, même si , comme Emma me l'a fait ensuite remarquer fort justement, cette dégustation intellectuelle  ne s'accompagne pas d'une autre "véritable" émotion, comme pouvait en produire le spectacle de Kader Attou, pour ne citer que lui (rien que ce mec qui danse avec ses bras, au début, par exemple, et j'en avais les larmes aux yeux). non, pas ici d'émotion "douce". On est là, happés, scotchés, sidérés, malmenés plus ou moins, spectateurs. Comme pris en otage par la nuit, le bruit, séquestrés dans une boucle de cauchemar.
D'autant plus que la bande-son (cinq gros magnétos à bande sont installés sur le plateau, à intervalles réguliers) incite encore moins à la rigolade : bruitages électroniques, rumeurs, voix plus ou moins indistinctes, fracas, hachis sonore (il s'agirait plus exactement de lasagnes soniques, d'ailleurs, au vu de l'épaisseur, de la densité, de la texture sonore créée -pétrie- par Denis Mariotte)  perpétrant et entretenant  le malaise, les questions qu'on se pose,  les tentatives de rationalisation, l'effet de sidération induits par le déroulement de l'ensemble...
Et le spectacle se termine -ils ont finalement réussi à mettre la table, et celle-ci occupe toute la largeur du plateau- par une sorte de happening-défoulement (on se jette des choses dessus, on fait gicler de la peinture sur les gens et sur le décor, on se poursuit, on se frappe à coup de massue en plastique, on se colle des tartes à la crème sur la figure, qui semble dire "ah, vous en vouliez du spectacle, et bien prenez-vous ça en pleine figure!") où le son devient énorme et quasiment préjudiciable au système auditif du spectateur moyen (et tout ça se fait en pleine lumière, plus aucune coquetterie d'éclairage ou de clignotement, dans une méta-violence (parce que la fausseté de celle qui surgit sur le plateau est revendiquée, par opposition à l'autre, la "vraie" omniprésente partout et ailleurs que sur ce plateau) qui évoquerait plutôt un jeu joyeux de sales gosses qui se lâchent qu'une revendication politique ou un manifeste esthétique. Quoique.
Une libération. Une explosion. Une déflagration.

 

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Commentaires
P
Comme tout cela est bien dit et fort juste... Bravo... <br /> <br /> Sur les photos ce ne sont pas tous les mêmes danseurs qu'à Besançon, non ?<br /> <br /> pépin
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