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lieux communs (et autres fadaises)
30 mars 2015

le sholem du shammès

LE CLUB DES POLICIERS YIDDISH
de Michael Chabon

club des policiers yi

" Une réussite, comme si Raymond Chandler et Philip K. Dick avaient fumé un joint en compagnie d'Isaac Bashevis Singer... "New York Review of Books.

Je viens de le terminer, et c'est comme de dire au revoir à un vieux pote. Ce (gros) bouquin a une histoire. Zabetta me l'avait donné, il y a quelques années, parce qu'elle n'arrivait pas à le lire, et moi, justement, j'en avais très envie. Je l'avais commencé, je trouvais l'écriture magnifique, mais très dense. Trop, sans doute. Et comme la jubilation que me procuraient ces phrases ne me suffisait pas, j'ai dû le reposer un instant. Et l'instant a duré (quand on pose les livres, des fois, c'est juste que ce n'était pas le bon moment.) Et je suis -volagement- passé à autre chose.
Et, avant de partir en Inde, (juste avant), j'ai cherché quel bouquin je pouvais y emmener (non non non je ne veux pas de liseuse! Je veux un truc, en papier, avec une couverture en carton et des pages qui se tournent), et, après avoir passé en revue les étagères de ma bibliothèque (que les rayons des "poches"), au crible de mes critères de choix : un bouquin assez gros, pour qu'il me dure les quinze jours, mais pas trop "dur à lire", un truc plaisant, avec un héros qui me plaise, peut-être un polar, ou bien pourquoi pas de la s-f... et j'ai soudain repensé à lui, que j'ai trouvé rangé au rayon des 10/18, m'attendant patiemment entre Jorn Riel et Stephen Mc Cauley -non non je ne range pas par ordre alphabétique-. Hop donc! le voilà dans mon sac! (J'avais pris aussi un recueil de nouvelles de Stephen king que j'vais mis dans ma valise, mais il a souffert de certaines conditions atmosphériques plus qu'humides entre les aéroports de Lyon et Istanbul -neigeuses, les conditions- juste au cas où, mais celui-là je ne l'ai pas ouvert du tout, je l'ai juste fait sécher.) Sac où il est resté... un certain temps, avant que je ne l'ouvre : la journée, je n'avais pas le temps, et le soir, hop! je tombais comme une masse, mais, qu'importe, je le transportais partout avec moi, comme une relique.
J'ai quand même fini par le commencer, au bout de presqu'une semaine (il m'en restait encore autant à voyager), et je me suis replongé dedans ; je me souvenais très bien du début : un flic juif -en Alaska- tombe sur le cadavre d'un mec, avec une balle dans la nuque, devant un échiquier où une partie est en cours, dans une chambre de l'hôtel miteux qu'il habite lui-aussi. Un vieux flic, plutôt alcoolo, désabusé, le genre de personnage qui m'attire (dans la famille des Harry Bosch, des Matt Scudder, ces privés que la quatrième de couv' qualifie généralement de "cabossés", ces durs-à-cuire mais avec un coeur gros comme ça à l'intérieur) j'ai donc recommecné à zéro, et j'ai continué, essayant de me rappeler jusqu'où j'étais allé la première fois..
Lui, donc, c'est Meyer Landsman. Et il va donc commencer à enquêter. sauf que, cette histoire de juifs en Alaska, si, la première fois ça m'avait vaguement fait dresser l'oreille ("Tiens, je ne savais pas qu'il y avait une importante colonie juive du côté de Fairbanks...") mais pas plus, cette seconde fois, je me suis un peu plus questionné quand même. Et j'ai appris que, si ce bouquin est vraiment un polar, il a néanmoins gagné trois prix énormes qu'on n'attribue en principe qu'aux romans de science-fiction. Tiens donc, et pourquoi ? parce qu'il s'agit d'une uchronie.

(un blanc dans le cerveau de l'auditoire, suspendu à mes lèvres ?). Mais si, comme Pavane de Keith Roberts (en roman) ou, plus facile Inglorious bastards de Quentin T., au cinéma. Un univers qui a commencé comme le notre mais où, à un moment, un événement s'est (ou ne s'est pas passé) ce qui fait que ça a continué pas exactement comme ça a continué chez nous. Ici, ça a bifurqué tard, en 1946 :

- Dans «Le Club des policiers yiddish», vous imaginez que les juifs, dans les années 40, n'émigrent pas en Israël mais en Alaska. Comment l'idée vous est venue d'installer l'Etat juif dans cette région glaciale?

- En 1940, le Secrétaire à l'Intérieur de Franklin Roosevelt, Harold Hickes, a proposé, pour des raisons humanitaires, de permettre aux réfugiés juifs en provenance de l'Est de s'installer dans certaines parties de l'Alaska, qui était encore un territoire, pas un Etat. Il y avait aussi un intérêt économique, les Etats-Unis cherchant de la main d'œuvre pour exploiter les ressources de la région. Bref, Roosevelt s'est intéressé quelque temps à cette nouvelle Frontière dans le nord-ouest et une loi a été proposée au Congrès pour créer ce refuge. Le projet n'a finalement pas été retenu, mais j'ai imaginé les conséquences de la chose, si la loi était passée.

- Le monde que nous connaissons n'aurait jamais existé...

- Non. Parce que des millions de juifs auraient été sauvés, et auraient immigré aux Etats-Unis. L'Allemagne n'aurait pas été obligée de consacrer autant de moyens, en hommes et en matériel, pour tuer les juifs. Ils n'auraient peut-être pas perdu la guerre contre la Russie, parce que les soldats allemands, affectés dans les camps, auraient pu être déployés sur le front de l'Est. La guerre, du coup, aurait sans doute été plus longue, et les Etats-Unis auraient été obligés de lâcher une bombe atomique sur Berlin en 1946. Quant à Israël, il y aurait eu moins de pressions, après la guerre, pour la création de cet Etat, car les Etats-Unis ne se seraient pas sentis aussi coupables de n'avoir sauvé personne. De toute façon, en 40, Eleanor Roosevelt et Harold Ickes étaient les seuls à se préoccuper des juifs. Le secrétaire d'Etat de l'époque ne voulait rien entendre.
(extrait d'un entretien avec Michael Chabon)


Donc, pas d'Israel dans cet univers-là, mais des millions de juifs entassés dans le district de Sitka (oui oui, ça, par contre, ça existe en vrai). Je reviens donc à mon privé, Landsman, qui va donc mener l'enquête avec son cousin Berko (un autre dur-à-cuire cabossé, lui aussi, moitié juif et moitié indien) et sous la supervision de Bina qui est son supérieur hiérarchique mais aussi son ex-femme. Rajoutons que tout le monde est un peu nerveux parce que l'attribution des territoires alaskais avait été faite pour une durée limitée dans le temps, et voici qu'est arrivée ou presque l'heure imminente de la rétrocession...
En même temps que Landsman poursuit son enquête, le lecteur le suit, le découvre, s'attache à lui, et découvre aussi progressivement  l'hstoire de ce district de Sitka, à travers les personnages que Landsman rencontre et contre lesquels son enquête rebondit. La perception de la personnalité du mort, notamment, évolue sans cesse au fil du roman. Il sera beaucoup question de juifs, certes, mais aussi d'échecs (le jeu). Tout ça est d'une richesse et d'une virtuosité incroyables. Landsman, son cousin, sa soeur, son ex-femme, son père, une chronique familiale intense, touchante, solide, drôle, émouvante...
Car ce qui caractérise ce bouquin, à part le fait qu'il soit une uchronie déguisée en polar,  encore plus que son intrigue touffue (qui, vous vous en doutez va se ramifier de plus en plus jusqu'à déboucher sur... non non je ne vous dirai pas quoi) c'est la qualité de son écriture, son style, son humour -à froid- : ça m'avait déja ravi la première fois (mais pourquoi donc l'avais-je interrompu ?).  Chabon a truffé son texte de mots d'argots yiddish (ne vous inquiétez pas, il ya un glossaire à la fin) et la façon même dont tout ça est raconté est ju-bi-la-toire : descriptions, énumérations, comparaisons, états d'âme, coups de blues, coups de sang, considérations sur l'existence, combien de fois me suis-je arrêté pour le plaisir de relire ce que je venais de lire. Je me suis mis à faire des cornes sur les pages, pour pouvoir retrouver plus facilement ces pépites. L'écriture de Michael Chabon, enfin, l'écriture de ce roman, est comme une épicerie fine, où l'auteur vous ferait goûter à des douceurs jusqu'à satiété. C'est une écriture riche, gourmand, calorique, à la façon des pâtisseries extrême-orientales... Un bouquin qui se déguste, véritablement.
Dans le prochain post, je vous recopierai quelques extraits, pour voir si le coeur vous en dit...

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Commentaires
D
Je l'ai lu il y a quelques années . ton post ravive les souvenirs qui me reviennent très bien. Excellent livre.
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