toi et tes peut-être
L'OMBRE DES FEMMES
de Philippe Garrel
J'y allais... prudemment. Les deux derniers films vus de Philippe Garrel - Les amants réguliers et La frontière de l'aube - ne m'avaient pas -euphémisme- convaincu, et j'ai comme qui dirait un contentieux avec Stanislas Mehrar (il n'y est pour rien le pauvre, mais je n'ai aimé ni La captive ni Adolphe- mais en fouillant sur le ouaibe, je vois qu'il était aussi dans La lettre, et Un monde presque paisible, ce qui compense en quelque sorte.-) et j'y allais donc, je l'avoue, surtout pour Clothilde Courau.
Bonne nouvelle : Stanislas, on est réconciliés (et Philippe, aussi!), et Clothilde, je confirme! (et quand je pense que je n'ai découvert qu'au générique de fin à qui appartenait la voix du narrateur...) Oui, le film, en noir et blanc comme les deux suscités, est très beau. Très simple et très beau. Très beau parce que très simple, et vice-versa. Un mari, sa femme. La maîtresse du mari, l'amant de la femme, et c'est à peu près tout. Et de l'amour, bien sûr. Il la trompe, et c'est par sa maîtresse qu'il apprend que sa femme aussi a un amant. Ni Labiche ni Feydeau ni portes qui claquent ni amants en caleçon et fixe-chaussettes. L'heure est moins à la rigolade. Interrogations, hésitations, flottements. Stanislas Merhar incarne un personnage tout à fait conforme à l'image qu'on a de lui : un visage plutôt fermé, des cheveux un peu en pétard, évoquant une sorte de Dutronc jeune et blond mais sans le sourire (ni les lunettes noires, que voilà donc une comparaison idiote). Il y a dans ce visage opacifié une part de chagrin silencieux (mutique) assez impressionnante, à tel point que lorsqu'on le voit sourire (vers la fin du film) ça fait presque l'effet d'une déflagration.
Clothilde Courau joue à nu (et sans filet) et elle est, une fois de plus, parfaite. Sans maquilleur, sans coiffeur, elle joue, à la fois si simple et si précise qu'on en est tout retourné. Au début, ils sont pauvres, ils vivent et travaillent ensemble (il est cinéaste, elle lui sert d'assistante) et on peut supposer qu'il y a là de la part de Garrel une part de vérité, d'autobiographie, sans que cela devienne jamais pesant. A la fin, les revoilà qui parlent à nouveau cinéma et projets. Le film se structure et s'enracine peu à peu, l'ascèse un peu froide du début laissant progressivement la place à une certaine chaleur, comme un poulet tout maigrichon qu'on verrait au fil des jours grossir et se remplumer.
Et il a cette spécificité garrelienne d'être intemporel (atemporel ?) : à part quelques menus détails (il faut être attentif), il est presque impossible de le situer précisément dans le temps. comme si Garrel évoquait sa jeunesse en la transposant aujourd'hui. Un intermonde où, en 1970 on paierait en euros. Ou un univers plus contemporain où personne n'aurait de téléphone portable (quelle merveilleuse et reposante idée). Et il a l'intelligence de faire court, de parer au plus pressé. Couple, famille, adultère, sentiments, mais aussi cinéma, documentaire, résistance... il file droit, sans s'apesantir, ni s'apitoyer, d'ailleurs.
Sans conteste, mon Garrel préféré depuis pfhhhhhh... longtemps!