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lieux communs (et autres fadaises)
1 septembre 2015

amniotique

CEMETERY OF SPLENDOUR
d'Apichatpong Wheerasethakul

Il est arrivé,le nouvel Apichatpongounet! Enfin, presque : il sort le 2 septembre, mais j'ai eu la chance de le voir ce mercredi 26 en projection de presse. (Flagornons : et encore merci au distributeur, Pyramide, de nous y avoir invité, et félicitations à ce même Pyramide pour l'époustouflante qualité de son line-up : tous les films qui y figurent cette année m'ont fait, me font, et me feront saliver...)
C'est donc avec une certaine ferveur, et presque un soupir de bonheur, que je me suis calé dans mon siège quand les lumières ont baissé, dans la petite salle du Club Marbeuf (je n'ai que très peu de rapport avec la religiosité, mais, dans ce cas précis, je pourrais presque parler d'idolâtrie : oui, je le confesse, j'ai une relation très particulière avec ce cinéaste (au nom) compliqué : une incontestable fascination, quelque chose de la reconnaissance d'un territoire, de sa découverte et de son appropriation - dès le premier film vu (Tropical malady) je me suis senti comme chez moi chez lui, et cette relation privilégiée ne s'est jamais démentie (ou presque : son dernier opus Hotel Mekong est un peu à l'écart de cette sidération, allez savoir pourquoi je m'y suis un peu ennuyé) se creusant un peu plus à chaque nouveau film, sans que je puisse non plus en définir simplement les raisons-. 

Je ne connais que très peu de choses sur la Thaïlande, et je ne m'y suis jamais intéressé plus que ça. Mais c'est pourtant de ça, surtout, dont il parle, Monsieur W., du pays, de ses habitants, de son histoire, (de ses histoires), de ses croyances... Le sujet, le thème central, certes, mais aussi, et ô combien autant (et sinon davantage), la façon d'en parler. Il nous montre, d'abord,  l'aujourd'hui et maintenant. L'extrême simplicité, réalité (voire même trivialité pourraient bougonner certains), frontalité, contemporanéité (ça se déplierait comme un éventail), est traitée sur le même plan que "tout le reste" (tout ce qui n'est pas réellement réel, simplement simple, ou naturalistement naturaliste), c'est à dire l'univers des fantômes, des divinités, des rois, des princesses... Et des soldats aussi. Les soldats seraient peut-être le point de tangence entre les deux univers. Et des médecins. Et des moines aussi. (ah tiens il n'y en a pas dans Cemetery of splendour). Apichatpong évoque le passé, le sien et celui de celui de son pays, (de ses parents, et de beaucoup d'autres aussi sans doute), et il le fait en parlant très doucement (je suis très sensible aux voix, aux langues étrangères, je vous ai déjà dit que je pouvais me pâmer ou presque en entendant parler hébreu par exemple, ou turc, ou etc.) mais cette langue-ci m'est spécialement chère à l'oreille, parce qu'elle n'a pas cette gutturalité que peuvent avoir les autres. C'est... très doux, ça parle du vent dans les arbres, du chant des oiseaux, de l'odeur des fruits exotiques, ça chantonne et et ça ruisselle, ça s'écoule, ça embaume, ça goutte à goutte. C'est exquis et ça me ravit.

Il y a donc un certain rituel à respecter pour accueillir chaque nouveau film d'A.W.
Immersion.
C'est le mot qui m'est venu. On entre par un écran noir, le silence d'abord, puis montent, toujours dans ce noir des sons "mécaniques", qu'on identifiera bientôt comme étant ceux d'une pelleteuse (une excavatrice), qu'on découvrira au travail, d'un peu loin, en plan large. (J'ai parlé à dessein d'immersion, car c'est tout le film qui relève du processus : comme on y entre, il faudra deux heures et quelques plus tard en sortir, par l'acte inverse, l'émersion, donc, après une phase, nécessaire, de décompression,  qui durerait le temps du générique de fin. Et ceux qui quittent la salle avant -comme ce fut le cas de la majorité, certains même la quittant bien plus en amont- commettent un acte dommageable et risquent sans le savoir des lésions irréversibles au niveau du cortex voire pire. On se sort pas, comme ça, de façon parisienne et irréfléchie.
Nous n'étions plus que deux, dans la salle, au moment où les lumières se sont rallumées, nous étions revenus à l'air libre, et nos regards se sont croisés, avec un air interrogatif, puis affirmatif, et le sourire que nous avons échangé relevait de la complicité, aussi je me suis enhardi à lui parler (oui oui) peut-être un "C'était bien, hein ?" tant je le sentais dans les mêmes conditions que moi, suspendu et admiratif, ce que sa réponse me confirma d'ailleurs. Il me dit qu'il l'avait déjà vu, mais qu'il était revenu parce que la première fois il y avait "trop dormi". il semblerait qu'il y ait une alchimie mystérieuse -d'ailleurs revendiquée par le cinéaste- entre ses films et le sommeil. On y dort toujours "un peu"...)
 
Pour les gens qui sont familiers du cinéma d'Apichatpongounet, Cemetery of splendour sera plutôt familier, tant on y retrouve une combinaison d'éléments qui figuraient (en l'état, souvent, ou presque, parfois) dans les films précédents : un hôpital (de campagne), une dame qui boîte (et qui va servir d'épine dorsale au film), des infirmières, une jeune fille médium, des soldats (mystérieusement endormis), des arbres qui bougent, des rêves, des fantômes, des déesses qui prennent forme humaine... On est en terrain de connaissance. La narration semble presque rectiligne ("normale") et pourrait se résumer par "une dame s'attache à un jeune soldat endormi et communique avec lui en rêve" (son rêve à elle, son rêve à lui)." (déjà, là, la moitié des lecteurs ont quitté la salle en courant, en se rappelant qu'ils avaient un rendez-vous urgent).

Ces soldats sont soignés avec un genre de luminothérapie (des tubes lumineux coudés qui changent de couleur). Et la dame se fait aider par une jeune fille qui est médium, et lui permet de communiquer avec le jeune homme, tandis que viennent soudain lui rendre visite (à la dame) deux jeunes filles qui sont les incarnations des déesses du temple où elle est allée déposer des offrandes (des animaux miniatures) qui leur ont bien plu, alors elles se sont déplacées en personne pour expliquer à la dame, le pourquoi du comment du sommeil des soldats, entre autres. (Ca va ? Est-ce qu'il y a encore quelqu'un en train de lire ?) C'est un film d'Apichatpongounet qu'on pourrait (n'est-ce pas Hervé ?) qualifier de "plus simple" que les autres, parce que, d'abord, il n'y a qu'un film (et non pas deux parties qui se répondent, comme c'est souvent le cas). Mais, à la manières des fantômes qui apparaissaient -plop!- dans Oncle Boonmee, ici ce sont des segments narratifs qui interviennent au fil du récit, qui font surface, qui se répètent (les gens qui changent de place), se répondent parfois, réapparaissent régulièrement (la pelleteuse, les tubes lumineux) ou ponctuellement (la paramécie dans le ciel). Mais Cemetery of splendour n'est pas (tout à fait) un film aussi "troué" que ces prédécesseurs. On y avance comme dans une eau calme, assis dans une embarcation fragile et parfois mouvante, mais tout est calme, tout est doux.

នេះគឺជាភាពស្ងប់ស្ងាត់ទួត អ្វីគ្រប់យ៉ាងគឺជាទន់
(la dernière phrase, en khmer, si le traducteur est digne de confiance)


On a parlé de magie, d'onirisme, de visions, de remèdes, tout est vrai, tout est là, sous nos yeux, et notre cerveau de spectateur alors n'aurait plus qu'à cartographier son propre itinéraire, sa propre déambulation dans ce monde fictionnel où le réel et l'imaginaire existent ensemble, au même moment, comme les deux côtés d'un même tissu. Un simple rideau, un voilage, de ceux qui volètent au vent quand on entrouvre la fenêtre. Depuis la chambre (d'hôpital) on voit les arbres. Ou autre chose

Tout dépend d'où on  regarde, comment on  regarde.

019309

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