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lieux communs (et autres fadaises)
9 septembre 2015

le tigre caché

DHEEPAN
de Jacques Audiard

Je rentrais dans la salle un peu inquiet, doublement même, à cause de la relation compliquée que j'ai avec Jacques Audiard et ses films (j'ai un réel problème avec son rapport à la violence et à la virilité, j'en ai déjà parlé me semble-t-il) et à cause aussi de l'effet Palme d'or (et de sa légitimité ?).
Nous étions (avec Céline et David) dans une grande salle de l'UGC Les Halles, (très bien remplie pour cette séance de 18h), où nous avons subi quelques bandes-annonces désamorçantes avant de plonger dans le vif du sujet. Plof! Et on y rentre d'ailleurs assez énergiquement. Si Cemetery of splendour, vu le matin,  était  une eau tiède et parfumée, accueillante, celui-ci serait un genre de choc thermique, genre seau d'eau glacée dans la figure. Et pas forcément propre.Tonique, quoi.

(entre les lignes qui précèdent et celle-ci, j'ai eu le temps de lire la critique de Libération et celle des Inrocks, qui m'ont toutes les deux exaspéré par leur mauvaise foi, et du coup j'ai encore plus envie de le défendre, ce film, qui me semble être le moins inconfortable des films de Jacques Audiard)

Le film se découpe en plusieurs parties :
- l'"avant" (ce qui se passe avant l'arrivée en France)
- l'installation dans la cité
- la "guerre"
- l'épilogue

Beaucoup de gens semblent gênés par les deux dernières, à des titres différents. mais les deux premières ont aussi leur poil à gratter : la violence de la guerre, de la guérilla et des camps de réfugiés dans la première (et celle de la constitution de la "fausse famille", et la violence de la représentation de la "cité", dans la seconde, qu'Audiard nous stylise comme un no man's land rempli de rebeus à casquette et/ou capuche, qui ne s'expriment qu'en bâtard et autre fils de pute et final j'm'en bas les couilles. Jacques Audiard est toujours aussi fasciné par la représentation des caïds, des gangsters, des petites frappes, où le flingue et le véhicule tiennent lieu d'organe viril, l'agression verbale comme affirmation de soi, et le dressage permanent sur les ergots des petits coqs testostéronés comme pratique sociale généralisée. Fascination est bien le mot, et la façon dont, à chacun de ses films, il s'empare d'un acteur (ici, Vincent Rottiers, comme ce fut le cas précédemment pour Mathias Schoenarts, Tahar Rahim, Vincent Cassel, ou, encore plus remarquable, pour Romain Duris) et  l'iconise, le "survirilise", est significative. Un homme, un vrai de vrai, un qui a des couilles, qui se sert de ses poings (et/ou de son flingue) pour se faire respecter. Et donc s'affronte, forcément à d'autres mâles du même acabit, qui prétendent aussi devenir le mâle alpha de la tribu. Mais c'est lui qui triomphe à la fin, lui qui a les plus grosses couilles, qui devient le chef de meute. Hiérarchie virile.

(C'est drôle, tout ça était déjà dit dans son premier film -et de loin mon préféré, Regarde les hommes tomber-, où il mettait en place un triangle viril parfait : Matthieu Kassowitz en blanc-bec (prétendant), Jean-Louis Trintignant en protecteur (confirmé), et Jean Yanne, sublime, en mâle dominant (vainqueur).)

Sauf qu'ici cette classification est remise en question par celui qui donne son titre au film : Dheepan. L'acteur qui l'incarne, au nom presque aussi compliqué que celui d'Apichatpongounet : Anthonytasan Jesutasan, y est magnifique, sidérant, et mérite vraiment la montagne d'éloges qu'il a reçu. Dans le film, il a, dès le début, on le sait, les qualités requises pour être le plus fort, il a les cojones et tout. Seulement il n'a pas du tout envie, justement, d'en faire usage. Il veut juste avoir la paix, profil bas, faire son boulot de gardien d'immeuble, faire semblant de vivre sa petite vie de famille, rester calme, ne pas faire de bruit, ne pas se faire remarquer. et ça, ça n'est pas du tout un profil habituel de héros de film d'Audiard. Mais bon, avec les mecs à capuche, ça n'est jamais aussi simple (c'est vrai que ce film m'a fait expérimenter un genre de psychose et d'obsession pour les mecs à capuche).

J'aime beaucoup le temps que met l'installation de Dheepan et de sa "famille" à se mettre en place, les difficultés de langage et de compréhension (un peu comme Emmanuelle Devos dans Sur mes lèvres, finalement) entre hindi et français, le processus d'adaptation, d'assimilation, qui pose les choses progressivement (pas "en douceur" mais presque) jusqu'à ce que la femme de Deephan soit engagée pour s'occuper d'un vieux monsieur mutique dont le (neveu ? petit-fils ?)  vient de fêter sa sortie de prison (Vincent Rottiers, justement) et "reprend les choses en main" pour confirmer que c'est bien lui qui commande dans la cité (un assez attachant personnage, qui joue énormément sur l'ambivalence, douceur et gentillesse avec la femme de Dheepan et violence tonitruante à gros pétard de l'autre côté.)

et (inévitablement, on est chez Jacques Audiard) tout ça (ce "fragile équilibre") va être soudain remis en question (on ne comprend d'ailleurs pas tout à fait exactement pourquoi), la situation va voler en éclats ET C'EST LA GUERRE! (troisième partie du film, celle qui fait ricaner Libé et Les Inrocks). Celle où la ligne blanche est -littéralement- franchie. Où Deephan va prendre les choses en main et leur montrer de quel bois il se chauffe. Il y a beaucoup de bruit et de fureur, de la fumée, une machette, un escalier qu'on monte (stairway to heaven). Et, en ce qui me concerne, je dois reconnaître que j'ai trouvé ça plutôt plaisant (j'avais écrit présent), cette re-stylisation, cette quasi-abstraction, de la violence. Violence primaire, primitive, essentielle de la problématique de Dheepan (et, derrière, d'Audiard, bien évidemment.) "A feu et à sang", oui, c'est à peu près ça.

jusqu'à ce fabuleux dénouement anglais, qui a fait couler beaucoup d'encre et fait carburer (surchauffer) beaucoup de méninges. Sur une musique angélique (séraphique) voilà que soudain tout va bien, tout est clair et lumineux, pénible et joyeux. Dimanche, England,  green grass, chemise blanche, barbecue avec les voisins, bébé joli, sourire... trop beau pour être vrai ? On s'est beaucoup interrogé, avec Céline et David,  sur la fonction -et l'utilité ?-  de cette coda. Je pensais même, sur le coup, qu'il aurait peut-être été mieux d'arrêter le film avant, juste avant. Mais je réalise maintenant que c'est elle qui fait, très justement, le contrepoids. La force. Et qui me fait aimer encore plus le film.
Ca finit bien ? Ca fait croire que ça finit bien ? Ca rêve que ça finit bien ? J'aime que le point d'interrogation subsiste, qu'on nous montre une porte ouverte en nous disant tout bas qu'elle est peut-être fermée...

420365
(et je trouve l'affiche magnifique)

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