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lieux communs (et autres fadaises)
14 septembre 2015

bordel, fais pas ta chochotte

AFERIM!
de Radu Jude

Et hop! Une perle de plus à enfiler sur le chatoyant collier de la cinématographie roumaine que nous avons déjà programmée dans le bôô cinéma... (je parle comme le personnage principal du film, Costandin, un brigadier, qui chevauche avec son fils Ionita dans la pampa campagne roumaine, à la recherche d'un esclave en fuite, et qui parle tout le temps, mais passe tout ce temps à dire des conneries, des horreurs, à aligner les lieux communs, les platitudes et autres expressions populaires,  sans oublier les injures insultes jurons et autres joyeusetés -le titre de ce post vient de lui-...)
Radu Jude, on a déjà programmé ses deux films précédents (La fille la plus heureuse du monde et Papa vient dimanche), et donc on le connaît, et on l'aime, comme on connaît (et on aime) la production roumaine de ces dix dernières années, mais là il réussit à  nous surprendre (nous bluffer) et nous dépayser en tournant un film en noir et blanc (somptueux), en costumes (on est en 1835), et "de genre" puisqu'il pourrait s'agir d'un western (ils se déplacent à cheval) mâtiné d'un récit picaresque (ils croisent des gens "remarquables" en route, avec qui ils échangent, plus ou moins cordialement) doublé d'une chronique historique (la Roumanie au 19ème et "dans son jus", ça n'est pas très joli joli) et étoffé d'une reconstitution quasi-moyenâgeusante (j'ai pensé plusieurs fois au démesuré Il est difficile d'être un Dieu, d'Alexei Guerman, en tout aussi crasseux mais en beaucoup moins excrémentiel).

Ouah! un western roumain historique de 2h en noir et blanc! Voilà qui devrait attirer les foules par tombereaux et par charrettes! (On était 6 à la séance de 18h, normal...)
Et c'est somptueux. (Ours d'argent du meilleur réalisateur à Berlin, et c'est mérité) (Déjà, avec le noir et blanc, je suis, dès le départ, dans les meilleures dispositions - Ô Jarmusch, Guerman, Tarr, Corti, Maddin...- )
Aussi visuellement grandiose qu'humainement étriqué (et grinçant). Le film évoque la société roumaine de l'époque, cadenassée par le pouvoir des boyards, les seigneurs locaux, reposant sur un système de castes féodal, l'esclavagisme, avec tout en bas les serfs et, encore plus bas, la condition effroyable des Tziganes (esclaves des esclaves, grosso modo. Mais il le fait avec assez de finesse (et d'ironie) pour qu'on se dise que, finalement, pas grand-chose n'a changé. On y a juste (re)mis un peu les formes, changé un peu les dénominations, remis une petite couche de vernis social, mais pour ce qui est des rapports de classe, de l'exploitation, de la xénophobie, de la connerie humaine, bref de l'inhumanité, tout ça est encore en l'état, et toujours (plus que jamais même) d'actualité.

Radu Jude n'y va pas de main morte, mais on cliticlope volontiers avec lui à la suite de ces deux zigotos "justiciers" (le vieux qui parle et le jeune qui écoute), on se régale de la réjouissante loghorrée (certains critiques ont déploré que le film soit "trop bavard" mais c'est justement ce qui fait son intérêt, sa caractéristique principale, c'est le contrepoids nécessaire, parfois pénible mais indispensable, à la magnificence des cadrages (Les Cahiaîs ont trouvé que c'était trop joli, les paysages), c'est ce qui permet au réalisateur de mettre en place une infime distance ironique, en insérant dans des paysages de rêve des personnages de merde, pour faire court.

Costandin (le père) est tout gonflé de son importance, il se plaît à jouer les fiers-à-bras, les matamores, les gardiens de la loi, il est le modèle parfaitement assujetti d'un rouage zélé de la protection d'un système dégueulasse, juste un exécutant appliqué, qui fait ce qu'on lui dit sans chercher plus loin ni se poser de questions (ce que fait encore son fils, un blanc-bec maigrichon, dont les scrupules et le doute embrument encorent par instants la jeune cervelle). Ils sont partis à la recherche du tzigane, ils le retrouvent assez facilement, et ils le ramènent, comme ils sont supposés le faire. Le voyage de retour est encore passionnant que l'aller, puisque Carfin,  le fugitif, saucissonné en travers du cheval du brigadier, en profite pour raconter sa propre version des faits, où il met en cause la femme du boyard (qui est venue "frotter sa chatte contre sa nuque", et est donc, techniquement, au moins aussi coupable que lui).  Où il s'avère alors que ce Carfin n'est pas juste un animal fugitif, mais un être humain, si si, et qu'il a voyagé, vu d'autres pays, qu'il a une certaine expérience de la vie, une conscience même, et voilà qu'il implore la clémence de Costandin, qui lui promet qu'il demandera au boyard de modérer sa punition, qu'il lui parlera, qu'il interviendra en sa faveur (avec cette très belle scène nocturne à l'auberge, entre le fils et le père, où celui-là essaie d'infléchir la rectitude paternelle ("et si on le laissait partir ?") en vain.)

Car la suite du film (le retour chez le boyard) remettra vite le brigadier à sa place. Si, de nos jours, il a été dit par certain président nabot que "les fonctionnaires, c'est fait pour fonctionner", (ce fut même redit, et récemment, dans une école, oui oui on me l'a rapporté), là, il semble bien que les brigadiers soient faits juste pour brigader, et surtout fermer leur gueule devant le boyard, (c'est peut-être  pour ça d'ailleurs que lui l'ouvre si grande tout le reste du temps).
Et la justice (épouvantable, expéditive et "de classe") tranchera, sans qu'il puisse intervenir. (Ouille!)
C'est horriblement drôle la plupart du temps, et parfois simplement horrible  (la scène finale), mais nos deux héros repartiront vaillamment cliticlop cliticlop vers de nouvelles aventures, comme si de rien n'était.
C'est très fort, et c'est vraiment du cinéma comme j'aime.

307306

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