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lieux communs (et autres fadaises)
1 février 2016

bouffer des morceaux de verre

EL CLUB
de Pablo Larrain

Ca faisait longtemps qu'un film ne m'avait pas mis aussi mal à l'aise (pendant, mais aussi après : je me suis retrouvé dans le hall du bôô cinéma, rempli à ras bord par la file d'attente des films de 20h -dans le bôô cinéma on ouvre toujours les caisses très tard, pour avoir un max de gens dans le hall- un peu hagard et essayant de reprendre pied dans la réalité.)

Dès le début, par son traitement de l'image, (comme un voile, une brume qui nous mettrait (im)perceptiblement à distance -protection, garde-fou ?- le réalisateur dit avoir souhaité utiliser des objectifs et des filtres soviétiques des années 60) avec ce simple plan d'un homme sur la plage qui fait courir un chien en rond autour de lui, on est ailleurs. Le chien est un lévrier, et l'homme, on l'apprendra bientôt, est un curé. Qui vit avec d'autres copains curés dans une maison jaune au bout d'un village qui est lui-même au bout du trou du cul du monde, très loin, au bout du Chili. Copains curés qui parient sur le lévrier en question (qui gagne d'ailleurs et leur rapporte pas mal de biffetons) et dont on va progressivement comprendre le pourquoi de cette "joyeuse" cohabitation, surtout lorsque va débarquer chez eux un nouveau candidat, qui ne le restera d'ailleurs pas très longtemps, car l'arrivée quasi-simultanée d'un autre monsieur barbu, qui restera à la porte  mais va se mettre à hurler, à l'adresse du prêtre arrivant, décrivant à la cantonade et par le menu les sévices sexuels que lui a fait subir le prêtre en question, lorsqu'il était encore un tout jeune gamin.

Tous les prêtres qui sont là comme en villégiature ont en commun d'avoir commis des abus du même genre, et ont été déplacés (et "couverts") par les autorités religieuses. Le prêtre, envoyé dehors par tous les autres afin de calmer le réclamant, et muni par iceux d'un pistolet pour l'effrayer, ne trouve rien de mieux, quand il se retrouve face à lui, que de se tirer une balle dans la tête. C'en est fini du calme dans la joyeuse communauté (ils ont même une bonne soeur avec eux, qui leur sert de geôlière) puisque va conséquemment débarquer un jésuite (aux yeux de braise) enquêteur/inquisiteur, envoyé du Vatican, avec le dossier de chacun dans sa mallette, qui vient pour essayer de tirer tout ça au clair (mais avec une petite arrière-pensée, quand même).

Pablo Larrain nous ficelle tout ça (la religion, la pédophilie, le sexe, la prière,  les cantiques, la manipulation du prépuce, les courses de lévrier, la frustration, la mauvaise foi (!), l'homosexualité) en une pelote serrée, de plus en plus inextricable (inexplicable), dont les noeuds (j'aurais peut-être dû filer une autre métaphore...) deviennent de plus en plus compliqués et indéfaisables, au fur et à mesure que les relations entre les personnages se complexifient et s'ambiguïsent. (On a, grosso-modo, le groupe des "locataires", en face d'eux l'enquêteur, et, au beau milieu, celui qui dit s'appeler Sandokan -le barbu qui criait devant la maison au début-). Mais chacun ne fait jamais tout à fait ce qu'on pensait qu'il allait faire (ou, s'il le fait, ce n'est pas du tout ni pour les raisons qu'on pensait, ni avec les conséquences qu'on croyait -redoutait ? espérait ?-). Et du coup on reste toujours inquiet, en alerte, aux aguets, sur le qui-vive, avant de savoir de quel côté ça va tomber. Sur la défensive.

Beaucoup de choses sont en jeu, chacune interférant avec ses voisines, et le réalisateur est très fort pour nous laisser patauger et nous enfoncer de plus en plus. Le scénario, et le montage, ne font que souligner l'enchevêtrement, mais en sachant toujours rester légèrement imprévisibles, et c'est ça qui est bien. Toutes ces solitudes, tous ces non-dits, toutes ces questions, tous ces faux-semblants, nous désorientent, nous font perdre nos repères habituels (et rassurants) de spectateurs. L'originalité de l'approche (liée à la singularité formelle du traitement) nous déconcerte. On navigue à vue entre le thriller catho, le reportage ambigu, la métaphore glacée, la chronique dézinguée, l'horreur ordinaire (ce personnage de religieuse trop perpétuellement souriant est pour moi particulièrement inquiétant). On se raccroche comme on peut dans cet univers inconfortablement instable.

La seule ficelle un peu voyante (puisqu'on est dans les cordages) étant -pour moi- l'utilisation de la musique d'Arvo Pärt (notamment le Cantus in memory of Benjamain Britten, (que j'adore, mais qui n'a plus le bénéfice de la nouveauté), lors d'une scène mémorable.  Très forte, trop, peut-être, justement de par ce surlignage Pärtien du caractère... "biblique" de l'événement.) (mais je chipote)

Jusqu'à cette incroyable scène finale (on y pourrait, à plus d'un titre, se croire chez Buñuel) qui prend des vrais/faux airs de happy-end (ils vécurent heureux mais n'eurent pas beaucoup d'enfants... et pour cause), qui réussit a être en même temps logique, fantasmatique, illuminée, simple, folle furieuse (au choix séparément ou tous ensemble) et dont on peut juste se demander ce qu'elle représente vraiment pour chacun des personnages présents.

Pour moi le meilleur film de Pablo Larrain, incontestablement. Qui mérite des compliments, mais tout autant que chacun de ses interprètes.  (chacun(e), dans son registre, parfait(e), toujours en équilibre, impeccable, au rasoir.)

062080

 

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