(dans Libé du 2 mai, cette tribune que j'avais trouvée pleine de bon sens)
Monsieur Macron,
Le 23 avril, nous avons voté Hamon, Mélenchon, Poutou, Arthaud. Nous faisons partie des 27,67 % d’électeurs d’une gauche socialiste rénovée, de la France insoumise, de la gauche anticapitaliste, sans qui vous ne serez jamais élu le 7 mai.
Nous ne nous sommes pas reconnus dans votre personne. Nous ne nous reconnaissons pas dans vos revenus faramineux et les risques que vous auriez pris, alors que nous trimons pour décrocher un CDI et fonder une famille.
Nous ne nous reconnaissons pas dans les réseaux de parrains, de mentors et de think tanks qui vous ont ouvert toutes les portes et qui attendent la monnaie de leur pièce. Nous ne nous reconnaissons pas dans les mercenaires de la politique qui accourent vous faire des offres de services, et sans qui vous ne pourrez pas gouverner longtemps. Nous ne distinguons pas une stature présidentielle dans l’absence d’obstacles, d’échec et de travail concret que votre vie raconte. Dans votre démission tapageuse, alors qu’on vous avait fait l’honneur et la grâce de vous nommer ministre pour servir la République. Dans l’orgueil qui est le vôtre d’être président de la République ou rien.
Nous ne reconnaissons pas une presse pluraliste dans les médias dominants qui vous ont consacré des dizaines de unes depuis deux ans, au détriment des autres candidats. Nous ne souhaitons pas devenir milliardaires car, pour nous, un milliardaire est quelqu’un qui a échoué à reconnaître ce qu’il doit aux autres, le parfait symptôme d’une société d’inégalités. Et vous nous donnez déjà trop l’image d’un gagnant au Loto de la politique.
Nous ne reconnaissons pas une grande modernité dans une présidence «jupitérienne» qui rétablira les chasses présidentielles, les ordonnances, réduira l’activité législative à trois mois par an. Nous ne nous reconnaissons pas dans un Charles de Gaulle sans la Résistance, un Mitterrand sans l’éloquence, un Rocard sans l’intelligence.
Nous ne nous reconnaissons pas dans votre joie indécente au soir du premier tour où a triomphé l’extrême droite, nous n’avons que faire de voir votre conjointe ni de vous entendre exalter l’exigence de l’optimisme et de la voix de l’espoir. Nous ne nous reconnaissons pas dans le mode de scrutin de l’élection présidentielle qui élimine sans nuances, favorise des candidatures aventureuses comme la vôtre et impose des choix impossibles.
Nous ne nous reconnaissons pas dans votre amour du nucléaire comme génie français, alors que bien des pays voisins n’y voient qu’un danger pour l’Europe. Nous ne nous reconnaissons pas dans la cure d’austérité que vous voulez imposer aux collectivités locales, dernier lien de confiance avec la République pour nombre de nos concitoyens. Nous ne nous reconnaissons pas dans la pression sur les chômeurs, la fin des 35 heures et l’apologie du travail des autres, quand on se garde bien pour soi-même de toute pénibilité. Nous n’acceptons pas qu’on réduise les syndicats à des super comités d’entreprise sans poids politique. Nous ne goûtons guère ni aux courses d’esclaves de Uber ni aux cars low-cost qui portent votre nom, qui pratiquent le dumping social, polluent et ruinent les petites lignes ferroviaires.
Nous ne nous reconnaissons guère dans quelqu’un qui a fait si peu, si peu assumé le quinquennat qu’il a inspiré, parle si vaguement et prétend à tant de pouvoir. Mais nous reconnaissons très bien ceux qui sont derrière vous.
Le 7 mai, lors du second tour de l’élection présidentielle, ne pouvant en conscience ni nous abstenir ni voter blanc, ni voter pour vous, nous voterons gris. Nous prêterons notre vote à votre candidature pour faire barrage au Front national et sauver la République. Nous le reprendrons aussitôt, afin de vous imposer une cohabitation avec une gauche rassemblée, qui vous initiera à la politique française et aux difficultés de la vie.
Nous signons dès maintenant cette déclaration en ligne pour que le soir de la défaite de Marine Le Pen, le financier que vous êtes puisse évaluer lucidement son passif et ne se croit ni président de tous les Français ni mandaté pour appliquer son programme. Croyez bien, Monsieur Macron, à l’expression de notre plus sincère opposition.
Dalibor Frioux, écrivain
déclaration de "vote gris" à signer sur change.org