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lieux communs (et autres fadaises)
27 septembre 2018

phalanstère

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LES FRERES SISTERS
de Jacques Audiard

Je dois dire que, sortant de Climax, et, comme aurait pu dire Molière "tout échauffé de mauvaise bile", j'appréhendais un peu de voir ce nouveau film de Jacques Audiard, envers qui mon coeur a toujours plus ou moins balancé (je reste un inconditionnel de son premier, Regarde les hommes tomber, mais j'ai un peu de mal parfois, souvent, avec sa fascination pour la violence virile des suivants) mais en même temps, comme aux courses, je plaçais tous mes espoirs dessus.
La bande-annonce, vue maintes fois (même si, dans le bôô cinéma, uniquement en v-f : pfffff! tout de même) m'avais mis en appétit : Joaquin Phoenix, John C.Reilly, Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed, dans un ouesterne,  ça faisait baver... (J'ai appris dans un entretien que c'est John C.Reilly qui détenait les droits du bouquin et l'a proposé à Audiard, qu'il souhaitait travailler avec Joaquin P., et comme Audiard aussi, les choses se sont, comme on dit, bien emmanchées...).
Noir dans la salle, ça démarre, et dès le début (un paysage nocturne coupé en deux horizontalement, et un échange de coups de feu, presque abstrait), oui, dès les premières secondes, j'ai senti que c'était bon. Et ça continue tout pareil. Plus le film avançait et plus je m'envolais, avec un sourire béat,comme après un shoot d'hélium. Je ne reconnaissais pas tout à fait mon Jacquounet, tout allait trop bien, quel bonheur quel plaisir. Mais c'était compter sans la dernière partie qui n'hésite pas à nous faire redescendre promptement, les deux pieds dedans, jusqu'à même nous cacher les yeux parfois, heureusement avant un final aussi doux et plaisant que la panna cota du fjt.
J'ai adoré le film, et j'ai trouvé (comme d'hab') Joaquin Phenix absolument sensationnel, voilà, c'est dit. (Mais tous les autres sont excellents aussi).
Je n'ai pas vraiment connu les westerns "originels" (ceux des années 50), ni même les spaghettis (ceux des années 70), j'y suis venu un peu plus tard, par la tangente. le mythe en tant que tel ne m'intéressait pas. Puis plus tard,j'ai beaucoup apprécié un film comme Silverado, par exemple, qui était pour moi comme une relecture, une façon de se réapproprier le mythe (en en utilisant tous les archétypes et les figures imposées) qui frisait la perfection (Kevin Kline et Brian Dennehy, en ce temps-là, suffisaient à mon bonheur, j'avais des plaisirs simples), et j'ai donc continué à m'intéresser à ces revisites occasionnelles, par-ci par-là, quand l'occasion se présentait, via les films des Coen, de Kelly Reichardt, de Thomas Arslan, d'Andrew Dominick, de Clint Eastwood...
Là, dès le départ, on a l'essentiel : deux mecs assez crades (l'Ouest c'est pas pour les fillettes, on le sait), des chevaux, des révolvers, des galopades et bam bam bam. Mais on a, tout de suite, plus que ça : deux bourrins, ok, tueurs à gages (ou chasseurs de primes c'est kif-kif) mais, déjà, qui ont les têtes de John C. Reilly (que j'ai toujours beaucoup aimé) et de Joaquin Phoenix (que j'ai toujours encore plus aimé), -et qui vont ici combler toutes mes espérances- qui non seulement parlent, oui, des cow-boys avec des dialogues, des vrais, mais aussi, quasiment, philosophent. L'action supposée du film étant quasiment un prétexte pour leur permettre d'échanger.
Les frères Sisters, ce sont eux, ils ont été chargés par le Comodore (un genre de grand manitou local ) de récupérer un mec qui lui aurait pris quelque chose. Ca commence tendu entre les frangins puisque Eli, l'ainé, vient d'apprendre que c'est Charlie qui a été nommé chef de leur gang, parce qu'il faut bien un chef, et qu'il en conçoit comme qui dirait une certaine amertume (il est l'aîné, quand même).
Comme dans Regarde les hommes tomber, on suit, parallèlement, l'homme qu'ils recherchent (incarné par Riz Ahmed, découvert dans l'iconoclaste et jubilatoire We are four lions), et la façon dont il est "pris en charge" par un détective (Jake Gyllenhaal, qui a déjà tâté du western, du côté de Brokeback Mountain) qui doit le garder sur le feu et le livrer aux deux frères pour qu'ils "finissent le boulot". Le poursuivi est un chimiste et le détective se pique de littérature... et voilà qu'entre lettrés les choses ne vont pas se passer tout à fait comme prévu.
Et voilà mis en marche un quatuor de haute volée. De haute chevauchée plutôt devrais-je dire, vu le contexte. Clataclop clataclop.
Road-movie à cheval, avec passages obligés du western (ou figures imposées : j'ai toujours rêvé de manger des haricots dans une assiette en fer blanc, auprès du feu, à la nuit tombée, tandis qu'au loin hurlent les coyotes...) les deux poursuivants ont toujours quelques longueurs de retard sur les poursuivis, chacune des deux paires vit sa vie (vis-à-vis) jusqu'au moment où, on l'espérait celui-là, ils finissent par se retrouver. Et encore une fois les choses ne vont pas tout à fait se passer comme on aurait pu penser.
On jubile de voir la façon dont Jacques Audiard a lâché la bride à ses dadas habituels et comme desserré les mâchoires pour esquisser, oui, un sourire (et les poings, aussi, desserrés) et aussi déboutonné le dernier bouton, celui qui serre en haut, pour laisser passer un peu d'air. Par un certain sens du détail, par une façon d'évoquer les choses en creux (Pas souvent, par exemple, que, dans un western, il est question de brosse à dents, et la façon de s'en servir...) Les frères Sisters, pendant un grand moment, c'est drôle, c'est touchant, c'est inquiétant, c'est réjouissant, oui, mais souvent avec le  sourire (ou une arrière-pensée de sourire ?). A un moment, (une scène où tous les quatre sont assis sur une barrière et se fendent la poire) le SSTG a même affleuré au grand jour (et m'a illuminé comme un sacré filon aurifère) et j'ai même pensé que ce Jacques Audiard-là n'avait plus grand-chose à voir avec celui de Deephan ou de De rouille et d'os). Quel bonheur de cinéma! Je rayonnais, littéralement, dans le noir, je ronronnais tellement je trouvais ça bien.
Mais bon, chassez le naturel... et il finit par vous revenir en pleine gueule, et ça ne loupe pas. Jacques Audiard, quand même... A un moment la gravité mâchoires serrées se repointe (c'était trop beau ?), dans tous ses films, il y a un moment où ça doit faire trop mal : et le réalisateur nous ressort un peu (trop) de pathos de dessous le tapis (personnellement j'aurais adoré que ça reste léger jusqu'au bout mais en sachant que c'eût  été un peu illusoire (irréaliste), genre Quand les hommes vivront d'amour..., mais le coup du phalanstère (phalansquoi ? s'interroge Charlie/Joaquin) et de la société utopique, moi, ça me parlait... et je n'aurais rien eu contre le fait de, par exemple les voir se monter tous les quatre en ménage, hein, moi je dis ça...).
Donc la jubilation retombe un peu, parce que ça saigne, mais pas trop, ni trop longtemps, et ça repart en force (au galop, quoi), et toute la fin est somptueuse. D'abord par la façon (goguenarde) dont nous est évité, justement, l'inévitable (en principe) duel final entre nos héros et le méchant-très-méchant (rien que ça c'est du bonheur), avant le couronnement d'une scène finale élégiaque où le réalisateur a tellement remisé son arsenal habituel qu'on a presque du mal à y croire tellement c'est yop la boum genre La petite maison dans la prairie  (mais qu'est-ce c'est bien!).
Pour la petite histoire (je ne m'en suis aperçu que la seconde fois que j'ai vu le film -et lu son interminable générique de fin-), la vieille dame au fusil est interprétée par Carol Kane, découverte dans Les Jeux de la Comtesse Dolingen de Gratz, l'unique -et fascinant- film de Catherine Binet -la compagne de Georges Perec, en -aïe- 1982!)
A la seconde vision, j'étais toujours aussi bluffé par le jeu de Joaquin Phoenix (et cette façon  dont il réussit à évoquer un gamin, juste par un regard ou un demi-sourire) mais j'ai été plus attentif à celui de John C.Reilly, qui fait haut la main jeu égal avec son partenaire en nous livrant une composition toute en nuances et en délicatesse.
Un grand grand bonheur de cinéma, incontestablement.

0331666

 *SSTG : Sous-sous-texte gay...

 

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