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lieux communs (et autres fadaises)
23 mai 2019

bnei brak

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M
de Yolande Zauberman

Un film coup-de-poing. Que la réalisatrice nomme elle-même, tout à la fin, via une citation de Franz Kafka, son film-couteau. Le genre de film qui vous laisse, lorsque les lumières de la salle se rallument (bon, c'est vrai, dans le bôô cinéma elles se rallument tôt et c'est rien de le dire...) sonné, immobile, comme planté sur le rivage tandis que la mer du film se retire. On reprend pied, on respire. On s'essuie un peu les yeux aussi. Je dois être trop sensible, je suis incapable de reprendre instantanément ma vie d'ailleurs, celle du hors-cinéma.
Nous voici à Tel Aviv, ou presque, la nuit, sur la plage, et un homme chante. Cet homme c'est le M du titre, il s'appelle Menahem, et après avoir chanté, (une chanson qui parle de rabbin et de petits enfants qui chantent ensemble l'alphabet) il explique, à la réalisatrice qui le filme, qu'il a aussi été un porno kid, qu'il a été violé quand il était enfant, par des adultes (dont son rabbin) de la communauté ultra-orthodoxe à laquelle il appartient (appartenait).
Menahem Lang, vous l'avez entendu chanter dans le Kedma d'Amos Gitaï. il chante aussi -superbement- dans le film, à plusieurs reprises, et c'est très touchant (surtout quand il explique pourquoi il met le plus de douleur possible dans son chant). Il revient à Bnei Brak (la ville de son enfance), vingt ans après en être parti (après avoir été chassé de la maison par son père à qui il venait d'apprendre qu'il avait été violé et lui avait répondu qu'il était impur et ne pouvait donc plus rester là). Il veut "régler les choses" (avec son -ses- violeur(s) d'abord, puis avec sa famille). Il revient. M c'est un garçon à la tête ronde, au crâne rasé, sans chapeau, sans barbe, sans papillotes, bref sans rien de la panoplie du juif ultra-orthodoxe telle qu'elle est portée par l'ensemble des homme qui vivent là. Et la réalisatrice le suit, de près, de très près.
Et la nuit, les nuits, il va rencontrer d'autres hommes, souvent dans un cimetière (là où l'un des rabbins avait l'habitude de violer les garçons, sur une pierre tombale) et leur parler, et va susciter la parole de ces autres hommes, qui ont tous vécu la même chose que lui, et  cette incroyable libération de la parole va prendre de plus en plus de place dans le récit, qui nous révèle une non moins incroyable généralisation de cet état de fait (le viol) et, surtout, du silence total et complice qui entoure l'événement, alors que tout le monde sait.
C'est... terrifiant. Et en même temps, salutaire. On se demande comment Yolande Z. a pu réussir à filmer toutes ces paroles (dans des lieux où les femmes n'ont pas droit de cité, n'existent pas) comme si, une fois derrière sa caméra, elle était devenue invisible. Ces paroles d'hommes qui reviennent sans cesse autour du même sujet : le viol dont ils ont tous été victimes, et que certains ont fait subir à leur tour à d'autres. L'homme en question explique d'ailleurs pourquoi.
Mais il est dans le film aussi beaucoup question du sexe, et des rapports sexuels, une terra incognita pour ces jeunes hommes dont la seule "ouverture" sur cet univers est la Torah, et ce qu'elle dit "plus ou moins" sur ce thème (une séquence plutôt drôle en compagnie d'un jeûot qui va se marier dans deux jours et est toujours persuadé que les femmes n'ont pas de sexe...).M dénonce cette hypocrisie érigée en règle de fonctionnement.
Le film se termine sur un apaisement, une réconciliation, pour Menahem, et la réalisatrice vient in fine poser ses mots sur les dernières images, comme si elle accompagnait doucement le spectateur, sonné, pendant que les lumières se rallument...
Un film fort, nécessaire, incontestable.

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