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lieux communs (et autres fadaises)
13 août 2019

poussins

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UN HAVRE DE PAIX
de Yona Rozenkier

Trois frères au cinéma joués par trois frères dans la vie. Deux aînés joliment barbus (dont on reconnaît assurément qu'ils sont frères) encadrent, chacun à sa façon, le plus jeune, qui doit partir deux jours plus tard faire la guerre à la frontière du Liban. Tous trois se retrouvent à l'occasion de l'enterrement de leur père (qui, si j'ai bien compris, a passé un an dans une chambre froide, avec un morceau dans une glacière). Et tout ça se passe dans un kibboutz qualifié de "hors-d'âge" par les critiques (je n'avais personnellement pas les éléments pour utiliser cet épithète). Les rapports des trois frères avec ce père défunt (qui continue de leur poser problème même une fois mort) et ceux des mêmes avec "la guerre" constituent l'ossature de ce film que j'ai par ailleurs beaucoup aimé.
Yoav revient après une absence d'un an (lui vit à Tel Aviv) et un visible traumatisme provoqué par la vie militaire, qu'on découvrira progressivement au long du film. Ait, son frère, qui lui est resté au kibboutz pour aider sa mère et s'occuper de leur père mourant, cultive lui une visible fascination pour l'armée en général et les combats en particulier ("Tu seras un homme mon fils...") tandis qu'Avishai, le petit dernier, a un peu la trouille juste avant de partir ("j'ai eu deux jours de formation...") demande conseil aux deux grands, s'inquiète, et envisage même un instant de ne pas y aller et de se réfugier à Tel Aviv chez Yoav...
Les films sur le conflit israélo-palestinien abondent et reviennent régulièrement, et j'y vais à chaque fois parce que c'est un sujet qui me fascine, que je ne comprends toujours pas vraiment, qui apparaît comme sans fin et surtout sans solution (comme le Rocher de Sysyphe ou le Tonneau des Danaïdes, ou, mieux encore, comme Prométhée qui se faisait boulotter toute la journée le foie par un vautour, foie qui repoussait chaque nuit...). Oui, voilà, ça ne finira jamais, et le film dans sa conclusion (lucide) n'est guère plus optimiste. On est, cette fois, clairement du côté israélien (l'"ennemi" n'est même jamais précisément nommé, il pourrait même être extra-terrestre que ça ne changerait d'ailleurs pas grand-chose au problème...).
Ce rapport à la guerre et aux choses militaires (j'ai du mal à employer le mot de service) va -évidemment- de pair avec ce virilisme de bon aloi -pour moi- qui me ravit toujours autant dans tous ces films palestino-israéliens. Tous ces jeunes gens, testostéronés par la force des choses autant que par le poids des traditions, qui s'affrontent par les mots, par les mains, ou par les armes. Cette fascination pour l'affrontement en tant que rapport humain tout autant que ("mon sous-texte gay à moi c'est toi...") celle pour le corps masculin en tant que désiré autant que désirant.
Le film de Yona Rozenkier ne cesse pas d'être formellement passionnant tant il brasse tous ces éléments avec gourmandise, mais en les incluant dans sa propre petite soupe qu'il cuisine généreusement... Le film est dense, un peu bordélique -formellement je le redis-  mais c'est sans doute ce qui le rend encore plus attachant. Avec en prime, au milieu de cette basse-cour de coquelets plus ou moins belliqueux, deux beaux personnages féminins, la tante et la mère, peut-être un peu plus esquissé(e)s que ceux des trois frères, mais qui réussissent chacun(e) à exister à merveille (quelle belle idée que de faire de la mère une italienne, ce n'est pas si souvent, c'est peut-être même la première fois pour moi, qu'on entend parler italien dans un film i/p, mais bon c'est peut-être juste un élément autobiographique...)
Le film est cru, brutal, mais aussi non dénué d'un certain humour, tout autant que d'une certaine tendresse. Le récit progresse (virilement aussi) par à-coups, faisant, comme dans la vie du kibboutz (qui est d'ailleurs celui où les trois "vrais" frères ont passé leur enfance) alterner les moments "normaux" ("calmes", la vie de tous les jours) et les alertes à la bombe (sans sirènes, "parce que ça dérange les vieux..."), et leurs déflagrations récurrentes (les montées d'adrénaline) au fil du récit. La guerre comme une partie de paint-ball, la guerre comme une chasse au sanglier, la guerre comme une scène de danse (sur Dancing Queen d'Abba!), la guerre comme une compét' de natation sous-marine, le réalisateur (qui s'est d'ailleurs attribué le rôle d'Itai le bellliciste) multiplie les angles d'attaque (!) et l'intérêt du spectateur ne faiblit jamais (je parle pour moi), avec, en plus en ce qui me concerne, cette interrogation -annexe- en suspens, on demande plusieurs fois dans le film à Yoav s'il a une copine et il répond non, -quand la même sera posée à Itai, il répondra -virilement- "J'ai ma main..."- sur ce fameux SSTG, qui serait un peu, restons en cuisine, comme ce fameux cube de bouillon magique qui vient relever (ou adoucir) le goût de ce plat pourtant déjà bien épicé...
Bref, une réussite (mais bon que ce soit israélien ou palestinien, je ne suis plus objectif, c'est vrai).

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