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lieux communs (et autres fadaises)
10 juin 2020

pareil / pas pareil

18h : je sors (enfin) pour aller acheter des cerises
sur le trottoir en face vient à ma rencontre une joyeuse troupe de jeunes gens à barbiche et à casquette, et comme je le pressentais l'un d'eux m'appelle par mon prénom en me demandant si ça va, puis si je le reconnais... bien sûr, que je le reconnais, c'est Loutfi G., et voici que s'avancent, me posant la même question, Hamza C., puis Sofiane B., que j'identifie sans problème, et qu'ils me tendent tous les deux la main, et que la leur serre!  Comme d'habitude chaque fois que je croise d'anciens élèves, j'ai les larmes aux yeux, et tandis que nous repartons chacun de notre côté je me dis que je n'ai pas respecté les gestes-barrière (je me mettrai du gel chez le marchand de primeurs)

17h : je me suis mis enfin à la composition de ce bouquin-photo sur le conconfinement, tâche que j'ajournais depuis un certain temps : ce matin j'ai téléchargé quelques 200 photos, j'ai choisi un format carré qui me permet d'utiliser l'ancien outil de composition de Ph*toway (le nouveau étant, à mon goût beaucoup plus compliqué -et chiant-à utiliser), et je remplis bon an mal an 100 pages avec des images (que celles et ceux qui ont été fidèles de ce blog pendant tout ce temps ont vu passer), mais finalement presque pas de mots (pas de textes en tout cas) ni de chronologie... (à suivre)

16h : je passe chez les Soria pour déposer le bouquin de Jean Echenoz pour Philou, et j'en profite pour boire un café (en entrant cette fois dans la cuisine pour m'y asseoir, comme avant de chez avant, tandis que la dernière fois nous étions restés -prudemment et civiquement- sur la terrasse, malgré les bourrasques assez musclées -nous avions été obligés de nous mettre à l'abri sur le côté de la maison-)

14h49 : j'arrive à l'arrêt de bus pour voir les horaires de retour, (à quelle heure part le prochain, d'habitude je rentre plutôt en fin d'après-midi), et je lis, ô bonheur,  14h50, et il est 14h49 (le moteur tournait déjà), je n'ai qu'à m'installer, et le voilà qui démarre

12h30 : rendez-vous à l'Ermitage, avec Dominique et Emma, comme il y a... longtemps (je ne suis pas venu à Besac depuis plus de trois mois!) : un peu moins de tables, "palmes obligatoires" à l'entrée, comme le signale la facétieux patron, des prix très légèrement augmentés, mais des plats toujours aussi délicieux (pour moi tarte végé asperges et crudités variées, servie avec un petit consommé à la courgette, puis tarte au fromage blanc avec coulis rhubarbe/framboise pour le dessert), avec la présence enjouée d'une nouvelle serveuse (que je n'avais encore jamais vue)

11h25 : dans le bus pour Besançon (toujours à 1,50€) il faut désormais déposer ses pièces dans un gobelet que le chauffeur reverse dans sa caisse, s'asseoir sur un siège près de la fenêtre (les autres sont condamnés) et surtout porter un masque pour monter (et le garder pendant tout le trajet), mais c'est toujours aussi agréable de s'y endormir...

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(j'adore les histoires de Jacky Durand, le jeudi, dans le supplément Tu Mitonnes! de Libé, voici la dernière, du jeudi 4 juin, puisque vous avez été bien sages...)

"Combien de fois en a-t-il rêvé de sa bolognaise à la queue de bœuf durant ses 55 nuits de confinement ? Il ne sait pas, il ne veut plus savoir. Il se donne un grand coup de torchon sur l’épaule pour vérifier qu’il est bien réveillé. Il se penche sur la grosse marmite en s’appuyant sur ses poignées et n’en finit pas de contempler le frémissement de la sauce carmin. Elle embaume la cuisine de toutes ses senteurs : le bœuf longuement mijoté, le céleri, les oignons, le romarin et le thym du jardin, l’ail nouveau qu’il a acheté samedi au marché. Il s’enivre de sa bolognaise, yeux mi-clos.

Chien fou

«Chef, vous croyez qu’on aura du monde à midi ?» Il se tourne vers son apprenti, soupire doucement. «Y a intérêt mon gars.» «Vous verrez chef, ils seront tous là», assure le marmiton en hochant vigoureusement la tête. Le gamin est revenu en cuisine comme un chien fou quand il a fallu préparer la réouverture. Il jubilait quand le chef lui a dit : «Tu sais, on va avoir du taf.» S’il lui avait donné là tout de suite un sac de 25 kilos d’oignons et un autre de patates à éplucher, l’apprenti n’aurait pas lâché son couteau jusqu’à la dernière pelure. Le chef avait dû même freiner un peu ses ardeurs quand ils étaient allés ensemble faire le plein pour remplir la chambre froide et le garde-manger.

Côtes d’agneau

A l’aller, dans la camionnette, il n’en finissait pas de jacasser. «Vous allez prendre des fraises chef, hein ? Et puis des rognons, des côtes d’agneau, de la raie, du veau, etc.» Le chef avait pilé brusquement au feu orange : «Stop. Tu m’en mets plein la tête. Maintenant, tu la mets en veilleuse.» L’apprenti avait baissé la tête, le regard hostile, en réajustant ses écouteurs. «Allez, fais pas tes yeux noirs», avait enchaîné le chef, comme il le faisait quand ça coinçait avec le môme.

Clebs

Au fond, ces deux-là forment une sacrée paire. Ils avaient commencé par se renifler comme des clebs quand un client, enseignant au collège du coin, était venu présenter le môme. Ils l’avaient envoyé jouer sur l’antique flipper à côté du bar tandis que le prof racontait une histoire que le chef avait entendue cent fois. «Echec scolaire», «décrochage», «manque de concentration», «bon fond mais turbulent». Le chef connaissait la musique par cœur depuis qu’à quatorze ans, on lui avait joué le même refrain. «Ce sera cuisine ou mécanique générale.» Va donc savoir pourquoi, il avait opté pour les fourneaux. Aujourd’hui encore, il se le demande en ne s’autorisant qu’une seule certitude : ce métier, il lui avait fallu du temps pour apprendre à l’aimer entre les coups de gueule, les coups de feu, les tauliers autistes et les seconds sadiques. Il s’était juré qu’il ne ferait jamais pareil avec les mômes en apprentissage chez lui. Comme il leur dit : «Tu sais, ici, c’est pas l’école Ferrandi ou l’Institut Bocuse. C’est pas non plus la piste aux étoiles du Michelin, mais on se respecte mutuellement.»

Tablier bleu

Quand le gamin est arrivé le premier jour, il n’a rien compris au film quand à midi et demi, le chef lui a fait enlever son tablier bleu. Sur l’instant, il a pensé qu’il était viré. Pourtant, il n’avait pas fait grand-chose le matin. Il avait surtout écouté le chef lui causer «d’ordre», de «propreté», de «régularité». Pourtant ce n’était pas l’armée parce que cet homme-là lui parlait doucement, avec tendresse même, en lui montrant ses couteaux dont certains remontaient à son apprentissage et qu’il affûtait avec soin : «Un bon cuisinier, c’est un ouvrier qui sait d’abord prendre soin de ses outils.» A midi et demi, donc, il avait pris le gamin par le bras et l’avait conduit en salle. Il l’avait installé à une petite table solitaire et lui avait présenté la carte : «Tu commandes ce que tu veux.» L’ado s’était soudain retrouvé en panique, c’était pas KFC ou McDo ici. Le chef avait capté le désarroi du môme. «Comment veux-tu devenir cuisinier si tu ne goûtes pas ce que tu fais ?» Le môme avait mangé des escargots, les paupiettes maison et une pêche Melba.

Pommes paillasson

Aujourd’hui, il sait faire la différence entre une brunoise et une julienne, un roux blanc et un roux brun, la crème fouettée et la crème chantilly. Là, il est en train de râper les bintjes pour les pommes paillasson. «T’as goûté la bolo ?» lui lance le chef. Le gamin prend l’air de celui pris en faute. «Non, j’ai oublié.» «Alors ? On a perdu les bonnes habitudes pendant le confinement ?» L’apprenti s’empresse de plonger une cuillère dans la marmite, souffle sur la sauce trop chaude et l’aspire doucement. «Fameuse chef, elle va faire revenir le monde votre bolo.» L’ancien équeute des fraises les yeux dans le vague. «Inch Allah, mon gars, inch Allah…»"

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