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lieux communs (et autres fadaises)
4 juillet 2020

unas cervezitas

055
LE COLOCATAIRE (UN RUBIO)
de Marco Berger

Celui-là, Optimale (le distributeur) nous l'avait gentiment accordé, très en avant-première, pour notre désormais mort-née Semaine Latino 9. Le cocovirus en a décidé autrement, la sortie du film a été décalée au 1er juillet, et voilà que non seulement Optimale nous le repropose en sortie nationale mais que l'exploitant le programme en "film A" (plus de 20 séances pour la semaine...). J'y suis donc allé (et c'était en plus mon "retour" dans le bôô cinéma) pour la première séance, mercredi à 15h40, escomptant, par ce beau temps, une séance privée mais non, nous y fûmes deux...
J'ai déjà dit, à maintes reprises, tout le bien que je pense de Marco Berger, et ce depuis son premier film, Plan B (2010), et j'ai d'ailleurs vu tous ses films, même (et surtout) ceux sortis directement en vidéo (Hawai, Sexual tension : volatil, et Taekwondo), et même ses premiers courts, chopés sur Y*utube (Una última voluntad, El reloj)... Je peux dire que je possède donc assez bien le sujet...
Marco Berger est argentin et gay, et ses films sont à cette image duelle : il y est à chaque fois question de deux hommes entre lesquels va se nouer quelque chose (amour, amitié, va savoir...) bref un rapprochement (avec un grand D comme désir). Oui, Marco Berger est un cinéaste du désir (comme, on dirait avec la voix de Frédéric Miterrand, "Franck Capra est le cinéaste du bonheur..."). Bref le jeu du chat et du chat (il n'y a plus de souris ou bien elle est très périphérique à la narration), deux matous qui se tournent autour et semblent avoir envie d'aller goûter dans la gamelle du voisin. En tout bien tout honneur (j'en avais fait le leitmotiv d'un précédent post sur un autre film du même). En général, chaque film se cristallise autour d'une montée progressive dudit désir, portée jusqu'à l'incandescence, jusqu'à un happy-end où les deux finissent par concrétiser, juste à la fin du film, et s'envoient -enfin- joyeusement en l'air (en hors-champ) et hop!

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Il y a aussi -surtout- la façon de filmer les corps masculins qui me ravit : Marco Berger fait ça à merveille, d'une caméra aimablement voyeuse en nous gratifiant régulièrement de gros plans "subjectifs" sur les beautés cachées (à peine) de ses protagonistes (ah, les jeunes gens qui dorment dans le même lit, ETBTH*, dans Plan B) en slip, en maillot de bain, en caleçon, en jean, en jogging, et ces plans récurrents (et muets) sont comme des petites ampoules qui clignotent, complices, sur la guirlande du récit... On sait donc à quoi, peu ou prou, s'attendre, quand on va voir un film de Marco Berger (et on sait ce qu'on espère / on a envie d'y voir).
Et voilà que dans ce Colocataire (le titre français n'est pas très affriolant) -à chaque fois je pense à coloscopie, par exemple- il change -légèrement- la donne : deux hommes, certes, un brun (Juan) et un blond (Gabriel, dit Gabo) qui partagent un grand appartement, le brun est un queutard plutôt désinhibé (il reçoit régulièrement ses copines), le blond est père d'une fillette qui vit loin chez sa grand-mère et qu'il va voir régulièrement le week-end, hétéro macho 1 et hétéro macho 2, donc,a priori. L'un parle beaucoup et l'autre très peu, et pourtant ce qui devait arriver arrive, regards, frôlements, mouvements d'approche, plus proche, encore plus encore et bam,  les voilà qui s'ébattent, mais, mais mais, on est à un tiers du film seulement, alors que d'habitude c'est "ça" qui le conclut...
D'habitude, il n'est question que du désir (et c'est justement ça que j'adore), tout ce qui se passe dans la tête avant, tandis que la concrétisation, le passage à l'acte, ce n'est visiblement pas ce qui intéresse le plus le réalisateur, qui préfère allumer des mèches à combustion lente et observer de près comment le feu se met aux poudres. Que va-t-il donc se passer après ?
Pour la première fois, dans un film de Marco Berger on va voir... la suite! Ce qu'i se passe entre les points de suspension. La vie de couple, donc, si on veut (ils sont amants et ils habitent ensemble) de "presque" couple puisqu'elle n'existe qu'entre les murs de l'appartement. Et que lorsqu'ils sont seuls, ce qui n'arrive pas souvent. Entre les ex-copines de Juan, les potes qui défilent, les moments d'intimité sont rares (même si le désir pointe régulièrement le bout de son museau), surtout que Juan se comporte un peu comme un ado, égoïste et capricieux (mais tous ceux qui passent dans le salon, à se vautrer devant la télé en buvant des bières des matés ou en bouffant des pizzas se comportent aussi comme des ados, et l'omniprésence de la télé en off (matches de foot, séries, films), en rajoute encore dans ce sens.)
Juan et Gabo vont faire l'expérience de la vie de couple, hauts et bas, espoirs et déceptions, et leur relation évolue, tangue,  de l'amour il y en a, c'est sûr,  mais pas toujours quand on voudrait, comme on voudrait (un problème de synchronicité) ce qui rend les choses de plus en plus... délicates et compliquées (d'autant plus que Gabo est quasiment mutique et n'extériorise rien ou presque de ce qu'il ressent.) "Dans un couple, il y en a toujours un qui souffre et un qui s'ennuie..." Et l'autre phrase, c'était quoi, déjà ? Ah oui "Aimer c'est vouloir donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas..." Pile-poil!
Le récit (et le montage du film, assuré aussi par le réalisateur) souffle le chaud et le froid, comme la relation entre les deux hommes, et j'aime cette chronologie heurtée et pourtant rectiligne, ces ellipses, ces trous d'air, ces embrasements... et Berger boucle là une belle chronique sensible sur cette histoire d'amour, qui m'a finalement beaucoup touché (même s'il ne s'y passe rien de vraiment inimaginable, c'est la vie, quoi, oui, juste c'est comme la vie) aidé par  la qualité de l'interprétation des deux acteurs principaux (Gaston Re et Alfonso Baron) et  la force que leur conviction donne à leurs personnages (ils ont d'ailleurs tous les deux co-produit le film...)
Si le relatif désenchantement de cette vie de couple est indiscutable, il est pondéré par des petites touches d'optimisme, de la tendresse, des scènes douces, de la complicité (même si on est en droit de trouver in fine inacceptable la lâcheté d'un des deux -j'ai bien sûr pensé alors au délicat Maurice de James Ivory...). Le film laisse un goût (un peu) plus amer que les autres de Marco Berger (juste parce qu'il a le courage -les couilles ?- d'aller plus loin dans la topographie d'une histoire amoureuse), mais il est incontestablement aussi fort...
Et vaut cent fois mieux que ne voudrait le laisser croire la critique proprement dégueulasse que j'en ai lue dans Libé (et qui méritait presque le désabonnement).

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(je préfère l'affiche originale à l'affiche française...)

 

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