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On est à présent au milieu des années soixante-dix (1974 pour être plus précis) j'ai désormais un salaire, et je suis majeur, deux éléments qui font désormais de votre serviteur un jeune homme financièrement et culturellement indépendant. Je vais donc au cinéma souvent, avec appétit, avec curiosité, avec boulimie, il y a à ce moment là quatre salles de cinéma dans la ville où j'habite, et je continue à construire ma cinéphilie de bric et de broc. Je vais voir "ce qui sort" (nanars français, comédies, films "d'auteur", films d'horreur, grosses machines grand public etc...) ou plutôt "ce qui passe" !
Je continue de fréquenter le ciné-club du centre social (qui ne va pas tarder à s'arrêter, hélas) , je lis des revues de cinéma , mais je ne profiterai plus de la télévision qu'exceptionnellement (je quitte la maison en 74), pour voir un "inratable" chez des amis qui l'ont , à droite à gauche.
En juin 76, je suis au Festival d'Avignon , mais plutôt que le théâtre ou la danse (je rate, à l'époque, sans le savoir, la création de Einstein on the Beach...) je continue de creuser mon sillon cinématographique il y a des salles qui diffusent toute la journée (de 10h du matin à minuit, si je me souviens bien ) des films que j'ai envie de voir. Je découvre la (puis les, au fil des ans, on ira jusquà trois!) salle Utopia, où je passe le plus clair de mon temps.
Un ami cinéphile de l'époque me fait découvrir Wim Wenders, dont on fait alors une rétrospective (mais dont je n'ai jamais entendu parler) : AU FIL DU TEMPS (Im Lauf der zeit) est pour moi un énorme choc : plus de trois heures, en noir et blanc sous-titré, une chronique amicale et déambulatoire à travers l'allemagne, je suis sous le charme. (Euh si je me souviens bien, c'est aussi là que j'ai vu mon premier kiki de monsieur au cinéma...) Wenders deviendra alors un de mes premiers cinéastes de chevet (et je l'y garderai longtemps, d'ailleurs!)
Je me mélange un peu dans les dates, mais, les années qui suivront, ayant enfin obtenu le permis de conduire et la bagnole qui allait avec, me voilà doté d'une autonomie supplémentaire qui me permet d'aller jusqu'à Besançon, où il y a -à l'époque- des cinémas partout!
C'est l'époque la plus riche pour moi, je découvre des films qui me ressemblent, qui me touchent, qui me plaisent, qui me construisent peut-être aussi d'une certaine façon, et qui me marquent de façon durable : CRIA CUERVOS de Carlos Saura, L'AMI AMERICAIN de Wim Wenders, BAROCCO d'André Téchiné, TROIS FEMMES de Robert Altman, POURQUOI PAS de Coline Serreau (celui-là peut-être pas juste sur des critères ciné !)... Mes goûts s'affinent, se précisent, parfois un peu paradoxalement : cinéma dit "d'auteur" (art et essai, ciné-club, sous-titres ) mais dans le même temps une certaine fascination pour le cinéma-bis et surtout les films d'horreur, fantastiques, d'épouvante, (toujours eu du mal à comprendre ses différentes classifications): La nuit des morts-vivants, L'exorciste, Phantasm, La nuit des masques, Suspiria,etc ...
A l'époque, le cinéma européen (j'y range aussi la Suisse!) est florissant : Carlos Saura, Victor Erice, Ettore Scola, Luigi Comencini, Dino Risi, Alain Tanner, Michel Soutter, Claude Goretta, Patricia Moraz, Chantal Akerman, Wim Wenders, Rainer Werner Fassbinder, Werner Herzog, Werner Schroeter, Daniel Schmidt, réalisent régulièrement des films, chaque pays voit éclore ses jeunes talents, il ya partout comme une effervescence, un renouveau, et on assiste, attentif, ému, à cette explosion tous azimuths qui hélas ne va pas durer très longtemps, ni, en tout cas, totalement justifier tous les espoirs qu'elle avait alors pu susciter.
Dorénavant je vais aussi de temps en temps à Paris, voir quelques incunables ou "pointus/pointus" qui ne sont pas "parvenus jusque chez nous", le parc de salles local (Vesoul et Besançon) commence à péricliter, les salles ferment les unes après les autres (adieu le Rex, le Stella, le Majestic, le Vox, l'Abc, Le Building, le Paris, Le Montjoye, le Central, la Coupole, le Vauban, le Pax, le Lux, le Styx...) Adieu le temps béni !
Une nouveauté a fait son apparition : le magnétoscope (et les vidéo-clubs !) De temps en temps, avec un groupe d'amis, on organise des "nuits-vidéos" (on va louer des films ET le magnétoscope, puisqu'à l'époque personne encore d'entre nous n'en possédait !) où chacun choisit "son" film qu'il a envie de voir, de revoir, ou de faire découvrir aux autres (avec discussions passionnées à la clé, nuits blanches et café à gogo, mais des fois c'est vrai on piquait un peu du nez au film de 2h du mat!) Le clivage apparaît chez les amis, à propos du cinéma : ceux qui aiment "vraiment ça" et les autres...
Au milieu des années 80, me voilà muni de ce qu'on appelle un "bon bagage cinéphilique". J'ai déménagé, j'habite à Gray, et me rends donc régulièrement à Dijon (pour le cinéma!) où je retrouve par hasard une ancienne fondatrice des cinémas Utopia, rencontrée à Avignon bien des années plutôt, elle est désormais directrice de deux salles, on sympathise, et je passe mes mercredis et mes week-ends à bouffer du film. Ma consommation augmente quasi exponentiellement, je vois alors plus de 100 films par an (dont je vais, à partir de 1990, me mettre à tenir à jour la liste dans un "carnet vert" que m'offrit alors une amie) et vont s'y ajouter ceux que je fais enregistrer par l'assistant de ma copine (qui a Canal+ et un scope) :
la collection démarre...