caravansérail
LES HABITANTS
de Raymond Depardon
Les Habitants ? Il y avait déjà ceux, remarquables, magrittesques, vaguement inquiétants, d'Alex van Warmerdam. Ceux-ci (les nouveaux) n'ont rien à voir, ou presque. Rayray (comme nous l'avions affectueusement surnommé il y a déjà un certain temps) a sorti du garage sa vieille caravane, l'a un peu rafistolée/aménagée, et est parti pour sillonner la France du nord au sud et du sud au nord, s'arrêtant ici ou là pour y planter son chapiteau (une table dans l'axe, deux sièges de part et d'autre, face à face donc, et derrière une grande fenêtre par laquelle on peut voir tout ce qui se passe derrière.)
Plutôt que de cirque, il s'agirait plutôt de théâtre. De petit théâtre ambulant. Où vont défiler une vingt-cinquaine de couples, de duos , de paires : mari et femme, père et fils, mère et fille, copain et copine, pote et pote, chacun/chacune nous offrant (par l'intermédiaire de la caméra -dissimulée- et de quelques micros) leur conversation. Nous gratifiant d'un échange, plus ou moins touchant, plus ou moins drôle, plus ou moins joué etc. Ces gens-là, des jeunes des vieux, des femmes, des hommes, des sérieux et des rigolards, des calmes et des excités, c'est comme les gens dans la vraie vie : il y en a qu'on a plus de plaisir à écouter que d'autres (et même certain(e)s qu'on a le droit de trouver horripilant(e)s).
Le dispositif est simple, le découpage l'est tout autant : les moments de dialogues alternent avec les scènes de déplacements de la caravane à Rayray sur nos jolies routes de France (sur une alerte musique, très plaisante du très prolifique Alexandre Desplats) et des plans fixes de la même, sur son lieu d'installation.
C'est bref (même pas 1h30) c'est enlevé, et très plaisant à regarder. Ca se grigonte avec gourmandise, comme les fruits secs à l'apéro, et oui, ça en deviendrait presque addictif.
Je n'ai pas fermé l'oeil une seconde (c'est un signe qui ne trompe pas) , et ça ne m'aurait pas gêné d'en reprendre une poignée, bien au contraire.
Mais nous sommes tous différents (et le film le montre bien) et à la sortie de la salle, les avis divergeaient : un qui trouvait que "c'était pas bon", le deuxième "assez inégal", et le troisième (moi, donc) qui "avait beaucoup aimé"... Sans doute parce que ce dispositif qui se revendique en tant que tel (avec la part de sincérité et de calcul -de roublardise- que chacun voudra bien ou pas y trouver) sait rester à la hauteur des gens, simplement, de ceux qui sont filmés comme de ceux qui les regardent, mais sait ne pas rester simplement simplet, et nous accorde même le plaisir d'une mise en abîme : la vie qui continue derrière nos interlocuteurs, dans le rectangle (très cinématographique) de la grande fenêtre devant laquelle ils sont installés, et où le Rayrayalisateur les ré-inscrit avec intelligence - avec malice ?- dans une réalité qu'on peut supposer objectivement aléatoire (aléatoirement objective ?). Les petites histoires que ces gens nous racontent (les leurs) mises en parallèles avec les petites histoires des gens (les autres) qui passent, dehors. Les parleurs, comme les personnages derrières, par la fenêtre, ne font que ça, passer. inscrire définitivement sur l'écran quelque chose qui n'était, par définition, que provisoire, éphémère. Ca en devient ainsi, forcément, encore plus intéressant.
Et contrairement à ce qui avait été annoncé, le joli film de Rayray n'a été projeté que deux fois, à 18, à la sauvette dans le bôô cinéma... Shame shame shame on you!