ENTREE DU PERSONNEL
de Manuela Fresil
Une expérience singulière (solitaire, devrais-je dire, puisque j'étais seul dans la salle à la séance de 18h), soit un documentaire sur les employé(e)s d'un abattoir "industriel" qui nous parlent de (et nous montrent) leurs conditions de travail, que je supposais difficiles, mais que je ne soupçonnais pas à ce point épouvantables.
Il est question de travail à la chaîne, de cadences à respecter (et, régulièrement, à augmenter), d'un même geste à exécuter toute la journée, de la pénibilité de ce travail, des séquelles physiques (ou morales) engendrées, mais ce discours aussi réaliste que démoralisant est mis en image de façon magnifique : graphique, plastique, "artistique" oserais-je, (sans la moindre connotation péjorative et youp la boum que ce mot pourrait suggérer).
J'ai toujours été fasciné dans l'art par la notion de série, de duplication, de multiplication, mais ici le principe s'applique à la stricte réalité, et les théories de bestioles qu'on voit défiler dans le film (plus ou moins reconnaissables, dans des états divers qui vont de celui d'"animal" à celui de bout de bidoche anonyme conditionné sous film plastoche et prêt à consommer) en sont la parfaite illustration. J'avais éprouvé la même fascination devant Notre pain quotidien, dans le terrifiant contraste entre la mécanisation extrême, la déshumanisation de ces traitements successifs et, paradoxalement, leur objet, leurs objets plutôt, des êtres vivants. Oui, il ya quelque chose de quasiment hypnotique (oui oui) dans la répétition de ce défilé mécanique, ininterrompu, ou à un truc donné succède le même truc, et un autre encore, et ainsi de suite, sans fin...
Une chorégraphie violemment poétique aussi (ou poétiquement violente), est mise en place, où l'on pourrait être à mi-chemin de disons, Pina Bausch et Francis Bacon, car le film joue sur une double fascination : celle de la viande (en ses états divers) et celle des gestes qui contribuent à faire passer ladite viande par ses différents états). Ne serait-ce que pour la petite chorégraphie silencieuse où l'on voit plusieurs ouvriers exécuter, à vide et en plein air, les mêmes gestes (les gestes même) qu'ils répètent sans relâche, le film doit être vu.
Oui, il s'agit d'un choc, doublement même, esthétique et moral, indéniablement. Où le visuel soutient/complète/interfère avec l'auditif (de la même façon qu'on verra plusieurs fois des plans fixes de personnages, on entendra aussi des témoignages personnels, chacun traitant de sa propre expérience, qui de ses impressions du premier jour, qui de ses poignets blessés, qui de la sournoiserie des procédés mis en place par "la direction", qui de la difficulté à abattre un cochon un boeuf rétif, quid des cauchemars engendrés par cet acte-même...)
Et tout ça en même pas une heure... Un film magnifique (et, une fois de plus Hervéchounet avait raison...) à recommander, mais oups désolé il ne passe déjà plus!
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