l'insurrection qui vient
LES CHANTS DE MANDRIN
de Rabah Ameur-Zaïmèche
Mettons les choses au point. Rabah Ameur-Zaïmèche figure parmi les plus doués des cinéastes français contemporains, je le redis et le répète, et je ne suis pas tout seul. C'est pourquoi j'étais un peu chagriné de ne pas avoir reçu son dernier film dans des conditions optimales. On a beau dire, mais les écrans du MK2 Beaubourg font quand même singulièrement riquiqui à côté de deux du bôô cinéma (même le plus grand de ceux-là est ridicule par rapport au plus petit de ceux-ci.) Grâce à Marie, je l'ai donc pu revoir en grandes pompes (et -ce qui a son importance- sans autre film adjacent.)
Encore une fois (comme pour Drive), le sentiment de ne pas avoir vu tout à fait le même film. La taille de l'écran le remet à sa juste place, et les qualités indéniables du cadrage, de l'éclairage, des mouvements de caméra, sont enfin restituées à leur juste valeur.
Rabah Ameur-Zaïmèche fait des films à hauteur d'homme, des histoires de vrais gens, avec "sa" tribu (comme Guédiguian a la sienne) dans lesquelles il se met en scène, avec sur le visage la même paradoxale douceur que celle dont il enveloppe ses personnages et son son récit. D'aucuns critiquent ce qu'on pourrait nommer cette complaisance à se mettre ainsi en scène, à jouer des deux côtés de la caméra, personnellement, ça ne me dérange pas du tout, bien au contraire (R.A.Z est quelqu'un de plutôt agréable à regarder, et vraiment cette douceur fait du bien je le répète...)
Après une trilogie "contemporaine" (Weh wesh, Bled number one et Dernier maquis) voilà qu'il nous raconte encore peu ou prou la même histoire, précarité, révolte, solidarité, espoir, désespoir, pouvoir et contre-pouvoir, en l'habillant d'oripeaux historiques. R.A.Z fait un film en costumes, je dirais, une épure de film en costume, tant il se concentre sur l'essentiel, et ne dépense pas des millions de pépètes dans la reconstitution de la vérité historique accessoirisée et figurantée.
Les acteurs ? Jacques Nolot incarne, souverainement, un jubilatoire marquis (le film aurait pu s'appeler Dernier marquis, pour rester dans la continuité, hihihi), qui vient rejoindre, à pied, descendu de son carrosse, la joyeuse troupe de traînes-savates (les contrebandiers) qui gravitent autour de Belissard, leur chef-même-s'il-n'y-a-pas-de-chef (Rabah Ameur-Zaïmèche, très bien comme d'hab dans le registre de l'humanité bonhomme). Soyons franc, le niveau d'interprétation n'est pas toujours idoinement homogène (des textes parfois maladroits, des acteurs parfois moins convaincants, des scènes parfois moins justes) mais l'énergie et/ou la beauté de l'ensemble emportent le morceau. Haut la main.
Jusqu'à la scène du "marché" (où les contrebandiers convient les villageois), le film, est, pour moi, une réussite totale, parfaite. Chacun des plans, leur conception, leur enchaînement, tout est bon. Pas une faute de goût ni de rythme. On est au plus près des corps, des visages, de l'affrontement ( "tueur de flics" dès les premières minutes, marquis contre colporteur ensuite) puis pris dans une structure où l'encerclement ("tourner autour du pot") devient une figure de style et ce mouvement de caméra une écriture significative (le cheval qui tourne autour du marquis, les torches enflammées autour du même...) Menace ? Pas vraiment, il s'agirait de faire connaissance, de juger sur pièces, de s'apprivoiser. Le film juxtapose des moments vécus "au plus près".
A partir de ce moment là, où la caméra prendrait un peu de champ, et le scénar aussi, c'est comme si le récit était repris en main pour une narration peut-être plus "normalisée", et perdait alors un peu en force de suggestion ce qu'il gagne en pittoresque villageois. Et le récit va continuer d'alterner ces moments superbement plastiques (les chevaux sur fond de ciel, la construction de la barricade), et ces autres moments simplement "joués", et donc plus anecdotiques.
Le travail de R.A.Z est d'autant plus admirable et percutant qu'il oeuvre dans le signe, dans le détail, le fragment, dans la sensation, plutôt que dans la narration proprement dite. On a un peu le sentiment que le film se laisse aller un peu dans sa dernière partie, se débraille, se détricote, joue un peu sur la redite, mais c'est peut-être pour solliciter du spectateur une autre complicité (celle que Zvezdo appelait la connivence ?). Le message est ambigu, et le propos reste un peu flou, mais qu'importe, à l'image du superbe plan final, nocturne, lumineux, et mystérieux. Quid de l'instant présent, et quid de l'avenir ?
Top10, probablement...