baïonnette
MEMOIRE NOS PERES
LETTRES D'IWO JIMA
de Clint Eastwood
A la sortie du premier volet du dyptique, j'avais fait l'impasse (parce que passage en VF dans le bôôô cinéma.) Nous avons profité de l'obtention dans ce même cinéma du deuxième volet, en VO cette fois comme on l'avait demandé, pour ravoir le premier dans les mêmes conditions, (en VO donc). On l'a donc reu (oui oui chez nous on aime le verbe ravoir : Si y en ra, on en raura!)
Voilà, j'ai donc vu les deux, dans l'ordre. Pif paf! Double claque. Comme dans le cas de la trilogie de Belvaux (Un couple épatant/ Cavale / Après la vie) j'ai envie de reprendre la formule Le tout est supérieur à l'ensemble des parties. Si on n'en a vu qu'un, on est déséquilibré. Au son de cloche ricain du premier répond l'écho nippon du second. Et mon tout est le récit d'une bataille, vue, enfin, pour une fois, équitablement des deux bouts du canon. Chaque film, pris séparément, est déjà très fort, mais l'ensemble des deux fait encore plus fort.
Car, s'ils traitent du même sujet, ils ne le font pas exactement de la même façon ni dans le même esprit. Mémoire de nos pères parle du maintenant (la bataille) mais surtout de l'après (la récupération médiatique d'une photo événementiellement patriotique) tandis que Lettres d'Iwo Jima, s'il traite aussi du maintenant (la bataille) s'occupe aussi de l'avant, beaucoup plus que de l'après (de toute façon, après, ils étaient quasiment tous morts les pauvres).
Dans les deux cas, on suivra le destin d'une poignée de personnages -pour pouvoir s'identifier, il faut bien les connaître un minimum, non ? - (le groupe des planteurs de drapeau pour MDNP,tandis que LDIJ s'attachera à suivre, me semble-t-il, parallèlement le destin de plusieurs soldats, moins immédiatement identifiables au premier coup d'oeil.)
Mais la bataille se situe clairement au passé dans le film américain alors qu'elle tonne surtout au présent du côté japonais. Ici, on se remémore des souvenirs de guerre douloureux, -il s'agit peu ou prou de savoir qui était sur la photo et de faire vendre des bons de guerre- tandis que là on est en plein dedans, jusqu'au cou, jusqu'à la fin, -sans armes, sans vivres, sans eau- puisque, dès le début il a clairement été dit que la solution finale (le suicide) pouvait être l'issue.
Il y a également quelques points de contact entre les narrations des deux histoires (sans que jamais les scènes en question ne soient redondantes : ce qu'Eastwood nous donne à voir dans chacune des parties est ce qu'on n'a pas pu voir dans l'autre. Il est évidemment question de point de vue. A tel jet de lance-flammes du premier film correspond la victime hurlante du second, (la scène se reproduira à l'identique mais à l'inverse). A telles victimes de suicides vues après coup dans le premier correspondront les mêmes maniant joyeusement (!) la grenade en direct dans le second, et ainsi de suite.
Les films communiquent, en quelque sorte, comme par ces passages souterrains creusés par les japonais et qui nous permettent de passer d'un lieu à l'autre. Du lieu américain au lieu japonais, certes, mais du lieu humain au lieu guerrier, du personnel au collectif, de l'état-major à l'individu, de la raison de chacun à la raison d'état, du courage à la lâcheté, de l'entêtement à la reddition, du patriotisme à l'humanité.
Ce qui est frappant, dans chacun des films, c'est que le récit est strictement vu par les yeux des soldats du pays concerné. L'ennemi, comme dans la vraie vie de la vraie guerre, on n'en voit qu'un canon qui dépasse d'une casemate, qu'un avion qui lâche des obus, qu'un corps enflammé qui court, qu'une cible potentielle. Sans se poser de question sur sa condition d'homme identique à la sienne. L'autre n'a pas de nom pas de visage pas d'identité. Il est juste l'ennemi. Et tant pis pour lui, si les ordres sont les ordres.
Pas de place là-dedans pour l'humanité, ou si peu...
Clint Eastwood a réalisé deux grands films complémentaires (ou deux moitiés de film complémentaires) à hauteur d'homme, sans esbrouffe et sans manichéisme. Il la joue humblement, profil bas pourrait-on dire, à l'image de ses deux génériques de début, l'un chanté (murmuré ? ) par une voix d'homme a capella, et l'autre par un piano solo et mélancolique.
Oui, Barbara, quelle connerie la guerre.