oeufs durs
SI U MEURS JE TE TUE
de Hiner Saleem
J'aime les films fragiles, j'aime les films doux, j'aime les films buissonniers, pour lesquels la ligne droite n'est pas forcémùent le plus court chemin narratif. J'aime ces films attendrissants par leur maladresse même ; des fois ils sont un peu flageolants sur leurs petites pattes (je vais arrêter de filer la métaphore, voilà que j'ai dans la tête des images de la naissance de Bambi, faudrait tout de même pas pousser...), bref ces films qui prennent un peu la clé des champs cinématographique(s). Les chemings deu traverseu.
Le cinéma d'Hiner Saleem m'a irrésistiblement évoqué celui d'Otar Iosseliani, la même apparente désinvolture, le même mélange de sourires et de larmes, la même humanité (qui rimerait avec entraide et solidarité), et le même attachement, visible et viscéral, pour un peuple (les Géorgiens pour Otar, et les Kurdes pour Hiner).
Au début du film, il pleut fort (il pleuvra aussi fort à la fin), un homme sort de prison, il s'appelle Philippe (incarné par un acteur que j'adore, Jonathan Zaccaï). Il croise à un comptoir, au détour d'un oeuf dur, Avdal, un kurde venu à paris pour exécuter un contrat (tuer un tueur) se lie d'amitié avec lui, et finit même par l'héberger. Il y a dans cette première partie, pour le pervers incorrigible que je suis, tout un sous-texte gay plutôt éloquent et troublant, bien vite dissipé lorsqu'entre en scène la mignonnissime fiancée de Avdal, Siba (Golshifteh Farahani)
Avdal, qui a eu la mauvaise idée de décéder soudainement, laisse au pauvre Philippe, désemparé, le soin de s'occuper des funérailles et de prévenir la famille... Tous ça va encore se compliquer avec l'apparition du père de Avdal, venu en France pour récupérer les cendres de son fils, et, espère-t-il, la jeune fiancée qu'il pense marier à son autre fils, avec pour interprète(s) (le français ne parle pas le kurde, ni les kurdes le français, sauf la jeune fiancée) une portée de six frangins, kurdes bien entendu, qui vont encore ajouter à la pagaille environnante...
Le film se promène dans Paris (que, visiblement, le réalisateur aime et qu'il aime filmer) prend le bus, le métro, la voiture, marche, flâne, musarde, et prend plaisir à ajouter à cette narration itinérante, déjà bien vagabonde, des petites escapades ici et là, des respirations, des "rien à voir mais on prend quand même le temps de le regarder"...
Et on prend un vrai plaisir à tout ça, toujours un peu entre la drôlerie (la bouffonnerie) et le sérieux (la gravité), passant parfois sans transition d'un état à l'autre, ex abrupto. Des personnages secondaires attachants -parfois juste esquissés, mais comme en acquérant du coup une certaine épaisseur- peuplent agréablement les bords de cette histoire. (de ces histoires).
Le film a énervé Les Inrocks, c'est tout à son honneur, et n'en a donc que plus de mérite (des fois, eux aussi, ils m'énervent très fort : les reproches formels qu'ils font au film, ils auraient pu les faire de la même façon, à, disons Oncle Boonmee, que pourtant ils ont -comme moi, cette fois- adoré. Va comprendre, hein, et reprends donc un oeuf dur...)