J'aime les mecs mariés.
Précision : j'aime recevoir les mecs mariés.
(Appelons un chat un chat : coucher avec serait plus précis. J'aime coucher avec des mecs mariés.)
C'est surtout pour eux que j'ai commencé à faire "table d'hôte".
Je suis un gay qui préfère les bi (ou même les hétéros) aux autres gays. J'ai toujours préféré chasser hors de ma meute, n'ayant jamais été trop à l'aise avec les codes de "mes pairs" (LGBTetc.). Si je dis que je préfère les hommes "normaux" (aïe pas taper) je veux juste parler de ceux qui n'usent ni n'abusent d'une signalétique sexuelle (ou textile ou sociale) excessive (et redondante) de grande follasse.
Pour quoi je kife les hommes mariés ? D'abord parce qu'ils sont "neutres". Une apparence de mec, un look de mec, une odeur de mec, aussi. Les "bonhommes", quoi, comme j'aime les appeler.
Ensuite parce que ce sont, sous leur apparence "normale" et leurs habits "normaux", leur vie "normale" (?) des agents doubles, des tricheurs, des menteurs, (des salopards, quoi) et que, ce faisant (en couchant avec eux), je contribue à les inciter à l'être encore davantage, à mentir et à tricher encore (un peu) plus. Passer un moment au lit avec eux, c'est non seulement agréable physiquement (c'est quand même, après tout, pour ça que je les reçois) mais aussi moralement gratifiant pour moi (même s'il y a là-dedans, je l'avoue, un soupçon de perversiré. Une larmichette, dirons-nous).
Ils sont là en cachette, furtivement, pour pas très longtemps. De passage ("On ne s'éternisera pas" prévenait l'un d'eux, récemment, que je devais voir pour la première fois), donc même pas cinq à sept (rarement), souvent plutôt cinq à cinq trente, voire vingt, entre la poire et le fromage, vite fait (et pas forcément) bien fait, en loucedé, en catimini, en douce (Jean-Luc Hennig avait écrit un joli bouquin sur eux, BI, que je dois avoir quelque part dans ma bibliothèque, bouquin où il expliqait tout ça très bien). C'est plus physique qu'affectif. La plupart le revendiquent. (le résumé le plus prosaïque serait, attention pour public averti, "se vider les couilles"...)
D'ailleurs, lors de premiers contacts (écrits), il est souvent question de "discrétion". Ce qu'ils demandent : "beaucoup de discrétion". Et reprécisent. Insistent. Tsss. Comme si j'allais ouvrir en grand la fenêtre de mon salon, jouer de la trompette (ou plutôt, louer un orchestre de mariachis) pour tonitruer : "JE RECOIS UN HOMME MARIÉ, OH EH OH EH!" afin d'être certain que tous les voisins, voire tout le quartier, sont bien au courant. Et en profitent pour le faire savoir aussi sec,exponentiellement, partout sur les rézosocios.
(Furtifs. J'aime toujours imaginer que c'est ainsi que, tels les Zorros moyens (ou, mieux, les conspirateurs d'opérette) ils traversent le porche et grimpent les escaliers, avec un loup noir sur les yeux et le bas du visage dissimulé derrière la cape qu'ils ont relevée sur leur avant-bras). Caramba, encore raté!
Ces tricheurs ont bien organisé leur tricherie. Bien obligés. Non seulement il faut disposer d'un certain laps de temps, mais, tout autant, d'un prétexte, ou d'une raison (bref d'un alibi) pour pouvoir disposer de ce laps de temps hors du foyer conjugal, ou, tout du moins, sans que la tendre épouse n'en ait vent (ni puisse concevoir le moindre soupçon).
Le temps le plus propice, à cet effet, (et c'est celui qui -je contemple le cheptel -attendrissant- de mes visiteurs et leur emploi du temps- est majoritairement utilisé) est l'interzone (la grau zone) entre la fin du travail et le retour à la maison. Hormis en cas d'épouse particulièrement soupçonneuse et chronométreuse de trajets (ça s'est vu), ce sera toujours une zone temporellement -et, parfois même géographiquement- floue, incertaine, imprécise. Parfaite donc. L'aubaine. (Je l'ai déjà écrit, c'est lors de ce même créneau qu'on retrouve en général les braves pères de famille traîner sur les parkings, feignant d'être là par erreur et de ne rien attendre). Il y a aussi les rebelles (j'en ai connus, oui oui) qui utilisent ce moment flou, mais à rebours, dans l'autre sens : entre le moment où ils quittent le domicile et celui où ils arrivent au taf. Le moment généralement -très- matinal où ils embauchent. (et je ne ferai pas là de jeu de mot facile avec le mouvement contraire, celui où, plutôt le soir, il est alors question de débauche...).
Puisque je les reçois, les choses sont claires : ils savent où ils viennent, quand ils viennent, et pourquoi ils viennent. (Et à quel moment ils devront être repartis). Oui, pas d'équivoque. Bien au chaud dans notre petite bulle de tricherie.
Ils me parlent, à mots couverts, de leurs épouses, ou pas. Je ne questionne pas, je ne tire pas les vers du nez, juste parfois m'enquiers-je poliment. Lorsqu'ils n'en parlent pas, c'est que visiblement ils ont épousé une perle (j'en connais), ou, à l'opposé, un dragon. Mais d'une façon générale, pendant le peu de temps qu'ils passent dans mon boudoir, on a l'occasion de penser à pas mal d'autres choses que celles qui se passent dans leur maison à eux. Et c'est très bien comme ça.
Et j'adore le petit laps de temps quand ils sonnent et que j'actionne l'ouvre-porte. Les petits papillons dans le ventre (la première fois, bien sûr, mais pas que). Quand ils montent. Les quelques secondes où j'ai ouvert la porte de l'appartement, je suis sorti sur le palier (ou j'ai juste sorti la tête) et je les regarde monter la volée de marches. Ils entrent (en scène), je referme la porte derrière eux, et c'est parti... Nous vaquons à nos occupations. On s'attelle à la tâche. Ce pour quoi ils sont là.
C'est moi le maître de maison, l'hôte, et donc par là-même -en principe- le maître de cérémonie, qui va les diriger soit, vers la gauche, direction la cuisine (et donc, souvent, le café -et parfois la cigarette qui va avec- on n'est pas des bêtes, on la joue "civil" (mais c'est rare, je reconnais : lorsque café il y a, c'est plutôt "après")), ou bien vers la droite, pour traverser tout l'appartement et arriver jusqu'à la chambre (bien qu'il me soit arrivé (n'est-ce pas L., n'est ce pas N.) de m'arrêter avant et de ne pas aller plus loin que le canapé du salon... Plaisant aussi.)
A partir de là, nous savons tous les deux que nous disposons d'un certain temps. A nous de l'occuper au mieux. Le plus souvent (en principe) on a, par chat, déblayé le terrain : ce qu'ils aiment, ce qu'ils n'aiment pas, ce dont ils auraient envie... Très souvent (le plus souvent, allez) les mecs mariés sont -en plus d'être menteurs et tricheurs- égoïstes. Il sont là parce que leur bite les y a poussés, et avec un seul but : la jouissance. La leur, le plus souvent (mais ça fait pour moi partie du jeu). Ils sont là, en majesté, sur le lit ouvert et les oreillers de travers J''ai appris le terme "à la pacha", et c'est tout à fait ça, mais ça ne me déplaît pas du tout alors de jouer les grands vizirs. Je m'y emploie. En général avec succès. Le rythme dépend du laps de temps disponible. C'est hélas (quasiment) implicite : dés qu'il a joui, l'affaire est close. Un brin de toilette parfois (pas forcément) et je les regarde ensuite "remballer", se rhabiller, récupérer leurs accessoires, leur panoplie de mec marié, pour retourner dans leur vie de mec marié. (et là, seulement, je tolère qu'ils regardent leur montre ou leur téléphone, avant c'est de la pure goujaterie (inacceptable, mais ça s'est vu...)
On se salue d'une façon fort civile (la plupart de ces mecs, avec qui nous venons pourtant d'avoir un rapport très... intime, optent pour la virile poignée de main), avant qu'ils ne sortent, on échange quelques mots "apaisés", j'ouvre la porte je les regarde descendre, ouvrir la porte, la refermer (la paroi est en verre -trempé-, je peux donc encore les voir avant qu'ils ne disparaissent tout à fait. Jusqu'à la prochaine fois.) Hasta la vista baby.
Ils sont repartis dans leur vie de mecs mariés "au grand jour", tandis que je me tiens dans l'angle mort de leur existence. Tapi dans l'ombre, parfois dissimulé dans le répertoire de leur téléphone derrière un laconique prénom.
Le revers de la médaille, c'est, évidemment que ce sont eux qui tiennent les rênes (j'avais écrit les rêves : charmant) et que la méthode recommandée semble être celle qui procède a minima : je n'e suis pas supposé abuser des messages, il suffit juste d'avoir la patience d'attendre.
Pas toujours facile, mais bon on s'y fait. (Et l'expérience prouve que, plus on a envie et plus on cherche frénétiquement, eh bien moins on trouve... A bon entendeur.)