BOYHOOD
de Richard Linklater
Deux heures quarante-cinq ? Vous rigolez , on n'a pas vu le temps passer...
Sauf que si,eh eh, justement, on n'a fait que ça, parce que c'est le sujet du film et son matériau même, oui, on n'aura vu que ça, que ce gamin couché dans l'herbe, au début du film, à 6 ans, qui va se mettre ensuite à grandir quasiment à vue d'oeil, comme dans ces images scientifiques accélérées de fleurissement des plantes ou de n'importe quel autre processus naturel et pas forcément visible à l'oeil nu (sauf, peut-être exceptionnellement pour un observateur trèèèèèèèèèèèès patient), et ce même Mason, douze ans (et presque trois heures) plus tard, qui, majeur, quitte la chaleur du foyer dans son vieux pick-up pour voler enfin de ses propres ailes... Entre ces deux poses, on l'aura vu, précisément, grandir, et sa soeur, et sa mère, et son père, et son beau-père, et son autre beau-père (mais pas tous en même temps), et c'est indiscutablement ce qui rend ce film si fascinant, de les voir, tous ces personnages, vieillir, au même rythme, ce qui les rend si attachants, comme si on était un bibelot posé sur la cheminée et qu'on les observait, mine de rien, et qu'on finissait par faire quasiment partie des meubles de la famille.
Oui, on les aura vus grandir en vrai, puisque le film s'est étiré sur douze ans, en temps "réel"), chaque année occasionnant le tournage de quelques scènes où l'on perçoit -ou pas- l'évolution de chacun, comment le temps a passé, pour lui, pour elle, pour eux, et, comme dans nos vraies vies à nous, à chacun(e), comment, finalement, subsistent dans la mémoire des temps forts (ruptures, crises, scènes, cris, colères, déménagements, séparations) mais aussi, en contrepoint (en contrepoids ?) des moments plus anecdotiques, plus tendres, plus doux, plus "creux" en apparence, comme chacun de nous en a dans sa mémoire. (Pourquoi mémorise-t-on, inexplicablement -et tout aussi définitivement- certains instants fugitifs où presque rien ne s'est passé en apparence, et pourtant qui restent imprimés, qu'on n'oubliera jamais ?).
Je l'ai déjà écrit et répété : pour moi la famille est quelque chose d'exotique, un objet de curiosité, de fiction quasiment, et donc, comme dans ce cas précis, un parfait sujet de film. D'autant plus qu'aux événements disons, inévitables de ce genre de saga (mariages, naissances, séparations, remariages, décompositions/recompositions familiales) et "générales", le réalisateur a rajouté des choses plus accidentelles, même si parfois récurrentes (la bibine, l'enseignement, les bagnoles, la photographie), plus "individualisées". Que, visiblement chaque personnage a plus ou moins apportées avec lui. Ou proposées au réalisateur. Dans les interviews, du réalisateur ou de Patricia Arquette, il apparaît que le travail d'écriture s'est, de plus en plus, effectué collectivement. Richard Linklater savait grosso modo les éléments qu'il souhaitait voir figurer dans son récit -dont il connaissait, par exemple, très précisément la fin-, mais, au fil des années, le travail scénaristique s'est semble-t-il élaboré de plus en plus collectivement, à la "famille fictive" du film correspondant une "famille réelle", composée des mêmes mebres que l'autre, mais qui avaient à chaque fois "grandi", en vrai, depuis le dernier épisode (muri, changé, évolué...) et faisaient des propositions en conséquences (ne serait-ce que par leur physique ou leur jeu).
Une autre chose importante (un autre choix fort) c'est que les "tranches" successivement ne soient jamais marquées nettement, ni datées, ni... tranchées explicitement. Au spectateur d'être attentif et de se faire sa propre chronologie (mais, sauf au tout début, c'est généralement assez facile), et, attentif, et je vous promets que je l'ai été ! je ne pense pas avoir manqué ne serait-ce qu'une seconde de cette histoire, tellement je trouvais ça bien.
Et à cette fameuse dernière scène (et même, et surtout, à l'avant-dernière) je peux vous dire que les larmes me sont venues aux yeux, wouf! comme ça sans que je m'y attende, tellement j'avais l'impression, magie du cinéma, que c'était mon grand fiston à moi qui fêtait son diplôme, ce gamin que j'avais quasiment vu grandir comme ça, wouf! en deux heures quarante et quelques, et devenir ce grand beau jeune homme piaffant de dix-huit ans qui n'allait pas tarder à disparaître de ma vie, après toutes ces années passées ensemble...