ovni
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BACURAU
de Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles
Rare que je me rappelle aussi précisément du début d'un film : d'un générique sur fond ciel étoilé (outer space) on passe à la terre qu'on surplombe et dont on va se rapprocher (on aperçoit au passage un satellite) pour arriver au-dessus du Brésil, puis, encore plus précisément au-dessus d'un camion-citerne déglingué qui zigzague sur une route défoncée...
Le camion va et vient, la route est défoncée, à son bord un homme et une femme, ils croisent un camion qui a renversé son chargement de cercueils, et où des autochtones sont visiblement en train de se servir... Après une halte sur une hauteur qui domine une vallée où l'homme explique à sa passagère une situtation tendue où des salopards limitent l'accès à l'eau pour les habitants de la vallée, et plus précisément d'un village qu'on aperçoit en contrebas (une situation qui m'a rappelé le très aimé Milagro de Robert Redford), village où la jeune fille et le chauffeur finissent par arriver et se séparent, chacun des deux va vaquer à ses petites affaires lui livre de l'eau et elle transporte une petite valise rouge à roulettes qui semble contenir le saint-sacrement. On les retourvera en on en saura un peu plus sur chacun par la suite.
La mise en place est longue et complexe, fascinante, pendant un grand moment on fait connaissance avec des personnages, (les habitants de Bacurau, et d'autres : un homme politique qui fait campagne, une infirmière (Sonia Braga) qu'a a d'abord découverte en pocharde énervée, un américain (Udo Kier, dans ses grands jours) qu'on découvre dirigeant un groupe de militaires, de chasseurs ou de snipers, on ne sait pas trop (des gros cons ricain(e)s affolé(e)s de la gâchette), un couple de touristes à moto en combinaisons fluo pas si benêts ou innocents qu'ils veulent en donner l'air, un genre d'ermite qui vit à poil avec sa femme au milieu des plantes, plus des chevaux aux galop qui dont irruption dans le village au milieu de la nuit (c'est très beau), et même -oui oui- un ovni, une bonne vieille soucoupe volante qui vole un peu de guingois comme dans les films ricains des années 60, bref une accumulation de gens, d'actes, de situations, une profusion de scènes qui, au départ, ne semblent pas toujours avoir de rapport entre elles (des scènes qui sont fortes déjà par elles-même, indépendamment) mais dont les corrélations vont se mettre en place petit à petit.
Et donc le spectateur moyen (moi, en l'occurrence) se sent donc un peu perdu, mais en même temps se laisse emporter, impressionné (tétanisé) par ce cinéma violent, baroque, charnel, terrestre, furieux, de plus en plus anxiogène au fur et à mesure que les éléments se mettent en place, et qu'on commence à comprendre la situation... (Avec ces petits cachetons qu'on voit régulièrement glissés dans la bouche des villageois.)
Lorsque tous les pions sont posés, la partie peut commencer. Bacurau est attaqué, et Bacurau va se défendre. (Je me demandais un peu pourquoi allocinoche, dans la rubrique "genre", cochait drame, thriller, western, ce qui faisait beaucoup pour un seul homme, pardon un seul film... En sortant de la salle on se dit que c'est assez justifié, j'aurais même ajouté film d'assaut, si cette catégorie existait.)
"Dans un futur proche..." est indiqué au début du film. Soit donc, ok, un western métamorphé grâce aux nouvelles technologies, mais où le canevas basique reste le même : les méchants arrivent quelque part avec leurs flingues, et ils veulent tuer les gentils (de préférence innocents), et, normalement le(s) bon(s) arrive(nt), et tue(nt) les méchants dans un duel final, et hop, tout finit bien. (avec ripaille villageoise, sangliers rôtis et barde ligoté dans l'arbre... non je m'égare, Astérix sors de ce corps!).
La seule différence, mais de taille, c'est que personne ici ne vient au secours des bacurauiens (ni sept mercenaires, ni sept samouraïs) : au début du film on apprend que le village a soudain disparu des cartes -pfuit!-, les habitants sont coupés du monde, on leur a bien brouillé l'écoute, et donc ils doivent se retrousser les manches, et se démerder tout seuls, avec les moyens du bord, mais, rassurez-vous ils vont faire ça très bien. Aux petits oignons.
Lorsqu'on comprend ce qui se joue vraiment, on est effaré par l'énormité de la dégueulasserie mise en jeu (mais on est au Brésil, n'est-ce pas), et on n'est pas vraiment étonné lorsque les deux réalisateurs dénoncent la collusion entre les politiques locaux et l'hégémonie ricaine, -en ce moment la réalité aurait presque tendance à dépasser la fiction-, et on se prendrait presque à souhaiter que le châtiment réservé au méchant très méchant (il a quand même le temps de gueuler "Et ça ne fait que commencer!") soit appliqué en vrai à certain(s) président(s), qu'ils fussent ricain à mèche platine ou son acolyte (frénétique) brésilien...
Un film grandiose. Bigger than life (je ne sais pas comment ça se dit en brésilien)
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