GOODBYE DRAGON INN
de Tsai Ming Liang
C'est vrai qu'il n'y avait pas assez de cinéma dans ce blog, voici donc une nouvelle sous-catégorie, les "flashbacks". Ou "oui, des films sont sortis avant la naissance de ce blog, il y a des donc des lacunes à combler"... Voici donc le premier de la série (à tout seigneur... ? non, alors, j'aurais dû commencer par Cria Cuervos ou Barocco ou L'ami américain...)
C'est le premier film de Tsai Ming Liang que j'ai vu, un peu par accident je dois avouer... Et ce fut un sacré choc, (esthétique) pour plusieurs raisons.
D'abord, c'est un film qui appartient à la catégorie, pas si courante, des "films qui se passent dans un cinéma", et déjà, ça j'adore! (Tiens, idée de liste!) Qui plus est dans un vieux cinéma. dont c'est la dernière séance. Où l'on projette le film qui donne son titre au film (un film des années 60 et des brouettes, me semble-t-il.), un genre de nanar chef-d'œuvre du kung-fu. Et, ô coïncidence, les acteurs du film y assistent assis dans la salle, en tant que spectateurs (bien sûr ils sont bieeeen plus vieux!)
Dans ce cinéma travaillent aussi un joli projectionniste en marcel blanc (c'est Lee-Kang Shen, "l'acteur-fétiche" (traduire "son amant" ? non non je ne me permettrais pas mais bon...) et une ouvreuse boiteuse, qui est (peut-être) amoureuse du projectionniste et veut partager avec lui sa (dernière) brioche-vapeur, et va donc le chercher pendant tout le film, mais comme il bouge aussi pas mal et qu'elle est boiteuse, et va donc moins vite, ils vont se courir après pendant tout le film et n'arriveront, me semble-t-il, même pas à se rencontrer.
Ensuite il y a la salle de cinéma elle-même, et ses alentours immédiats, (les couloirs, les escaliers, les toilettes... ceux qui comme moi ont été friands par le passé de cinémas interlopes sauront de quoi je parle) où passent et repassent des ombres fugitives nouant et dénouant mille historiettes plus ou moins silencieuses, autour de et dans la salle (je me souviens du petit bruit que font les fruits secs que mange une spectatrice...)
Et il y a aussi, last but not least, le travail sur le temps et sa représentation : le passé / présent avec les film projeté et les spectateurs qui sont aussi les acteurs, ok fastoche, mais également sur la notion de durée : je me souviens d'un plan-séquence jusqu'auboutiste qui m'avait proprement estomaqué, ou la caméra embrasse la salle vide, toutes lumières rallumées. L'ouvreuse arrive (en claudiquant), en bas à droite, grimpe (lentement) les marches de la travée de droite, arrivée en haut, traverse l'espace qui sépare le "balcon" des "premières", et redescend , toujours en claudiquant, par la travée de gauche, et disparait de l'écran du côté opposé où elle y était entrée. Un plan qui dure exactement "trop longtemps"... immobile et muet, hypnotique, du grand art.Et qui dit temps qui passe dit (au moins en ce qui me concerne) mélancolie, et quand on est à la mélancolie, on n'est jamais très loin de la tristesse, et Goodbye Dragon Inn est comme un genre de merveilleux catalogue de toutes les situations où, justement, le cinéma peut rendre triste, des plus singulières (assister à un vieux film dans lequel on a joué) ,aux plus prosaïques (le temps qui passe, l'heure de la fermeture, la dernière séance, la salle vide, la pluie incessante, la recherche d'un(e) partenaire, ne pas pouvoir dire au revoir à son collègue, la mort d'un cinéma de quartier, la fin du film...
En plus dans ce cinéma, comme le dit au début un des personnages, il y a peut-être, aussi des fantômes... Et on sort du film, nimbé de cette mélancolie cotonneuse, pendant que le spectateur japonais, rentré là au début du film,a eu le temps de se sécher, on réalise qu'on est toujours un peu humide, du côté du coeur, du côté des yeux,presque imperceptiblement...
Fascinant, absolument.