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lieux communs (et autres fadaises)
11 décembre 2005

vautours

Comme dans Lucky Luke, vous savez, les oiseaux noirs au cou décharné, généralement perchés à côté du croque-mort, impassibles en apparence. Patients...
Hier soir étais invité à un repas chez des amis : quatre couples (avec moi ça fait neuf, donc... pfff faut toujours que je fasse l'impair!) tous disons dans la tranche d'âge supérieure (5 personnes au tour de la table étaient à la retraite tout de même!)
Pensé alors au Dolce Agonia de Nancy Huston (un repas de Thanksgiving, où le narrateur, omniscient, au début de chaque chapitre, explique au lecteur la mort à venir de chacun des convives) . Nous étions comme perchés chacun sur son arbre, avec de la mort qui rôdait là-bas, en bas, qui roulait et qui sinuait comme une petite rivière boueusee et glacée qu'on aurait regardée un peu de haut, avec convoitise, en se frottant les pattes de satisfaction.
Apéritif au champagne, repas excellent. Tout le sel du truc est dans les conversations. "La" conversation, plutôt. Ce n'est pas un dîner formel, on est entre amis/copains. On n'est donc pas trop guindés, on se connaît plus ou moins bien , chacun a avec chacun des autres, plus ou moins, des connivences, des private jokes, des souvenirs, toutes ces inter relations se mélangent en un genre de minestrone parlé, chacun y apportant son grain de sel (certains ne parlent pas, ou très peu, néanmoins).
On a commencé avec la politique (depuis que j'ai joué Créon dans Antigone, ce mot résonne toujours en moi d'une façon particulière...), et Sarkozy, et le PS et les perspectives de 2007 (l'ensemble des personnes présentes faisant partie , je le précise, de la gauche grand teint et bien pensante), avec des tribuns plus ou moins véhéments et démonstratifs (à la quatrième coupe de champagne, t'es forcément plus chaud et plus sûr d'avoir raison), ce qui nous a bien occupé(s) jusqu'à la fin du foie gras. Certains semblaient plus optimistes que d'autres, à propos de 2007 (je faisais partie du clan adverse...)
Puis, avec les croûtes aux champignons, il fut question des rapports conjugaux, des rôles meuf/keum à partir d'une histoire de carnet où une femme mariée, sur les conseils de son psy, s'était mise à noter toutes les heures qu'elle consacrait au foyer (vaisselle, ménage, repassage) et qui, à la fin de chaque semaine, facturait à son mari ses "heures de travail". Chacun alors d'évoquer ses pratiques domestiques respectives sur le ton de la plaisanterie (on riait alors beaucoup), et l'histoire du carnet d'ailleurs courra en guise de fil rouge jusqu'à la fin du repas...
En attendant le rôti de veau (avec accompagnement de carottes, oignons confits, et haricots verts en fagot) ce fut le quart d'heure langue de pute : vous savez, on passe un peu en revue les gens qu'on connaît ensemble et qui ne sont pas là, et on les assaisonne... ("mais on fait ça avec humouuuuur, enrobé dans du calembouuuuur mouillé d'aciiiiiiideu") Connaissez tous le genre, hein ?
A ce moment-là, j'avais un avantage (certain ?) sur tous les autres : j'étais le seul à jeun, quasiment (j'ai tourné à l'eau après l'apéritif, malgré un amphytrion qui nous ouvrait force bouteilles plus choisies et plus goûteuses les une que les autres), alors que l'alcoolémie grimpait à vue d'oeil chez les autres convives (plutôt les mâles, d'ailleurs). Furent alors évoqués successivement les cas  de personnes plus ou moins très malheureuses et/ou ayant raté leur vie, de risées professionnelles, d'antipathies individuelles (hmmm tous très forts pour dégommer les autres... moi ? j'observais, je n'ai quasiment pas pris la parole à ce moment...)
Jusqu'au fromage (où j'ai goûté - au grand plaisir enfin du maître de maison- un peu de vin). Là, on en était arrivé sur le sujet des cuites, les plus grosses bitures qu'on ait prises, les choses les plus insensées qu'on ait faites sous l'emprise de l'alcool, les black out, les quasi-comas éthyliques (et chacun de jurer que ça ne m'est arrivé qu'une seule fois... sous-entendant vous voyez je peux aussi être très transgressif quand je le veux!)
Au dessert (glace, fruits rouges, crème anglaise et chantilly) on a évoqué l'âge, notre âge, la cinquantaine (ceux qui avaient des problèmes ou pas pour passer ce cap), et la soixantaine, jusqu'aux âges canoniques (furent évoqués divers parents et aïeuls, soixante-dix, quatre-vingt, quatre-vingt-dix... on alla même jusqu'à un poilu de 113 ans!) La chronologie étant un sujet fédérateur, on remonta ensuite dans le temps, vingt, trente ans en arrière, pour évoquer certains souvenirs plus ou moins drôles et/ou touchants.
Le dessert fini, un des couples a pris congé, juste avant le café. Mon voisin de droite et sa femme. Mon voisin de droite qui était resté étonnamment silencieux pendant le repas, que sa femme n'a pas quitté des yeux de toute la soirée. Nous avons alors parlé de lui, et d'eux. Il a eu des ennuis de santé récents, et la situation visiblement s'aggrave un peu chaque jour...
Nous étions alors remontés prudemment chacun sur notre arbre, comme pour regarder cette saloperie de mort un peu de loin. C'est comme si l'obscurité s'était rappochée, compactée, opacifiée, et qu'elle rôdait en grondant juste au-dessus de nous, chacun attendant, faisant le gros dos, que la foudre tombe. A côté. Toujours à côté, on espère...
J'ai pris congé, il était presque deux heures. nuit glacée. J'ai gratté le pare-brise et je suis rentré sans musique.
Perplexe.

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