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QUATRE NUITS AVEC ANNA
de Jerzy Skolimowski
Un film aussi singulier que magnifique. Une virtuosité de l'écriture filmique, de la réécriture constante du réel. Plutôt que le surréalisme, que les scènes d'ouverture peuvent évoquer, Skolimowski (ça faisait longtemps que je n'avais pas eu de ses nouvelles... Je me souviens d'un splendide Travail au noir, il y a environ -soupir...- vingt-cinq ans) pratique l'infraréalisme, grattant le cadre jusqu'à l'os, peaufinant chaque scène jusqu'à l'ascèse, épurant l'anecdote et rendant chaque image paradoxalement d'autant plus limpide qu'elle est souvent fort obscure.
Quatre nuits avec Anna est, comme son titre l'indique, un film nocturne. Un titre qu'il faut d'ailleurs prendre au pied de la lettre, tout comme lorsque le héros, sur la tombe de sa grand-mère, dit "Comme tu me l'avais conseillé, je vois une femme." Stricto sensu.
Leon (Arthur Steranko, extraordinaire d'humanité mutique) est amoureux d'Anna, qui a été victime d'un viol auquel il a assisté, impuissant, en revenant de la pêche. Comme il habite en face de chez elle, il l'observe, compulsivement, avant de s'introduire dans sa chambre par la fenêtre, quatre nuits de suite, juste pour la regarder dormir. Pourquoi ? Par amour, marmonnera-t-il, à la fin, au tribunal. Le récit n'est pas conduit linéairement mais progresse plutôt par bribes, par éclats, comme une vitre cassée qu'on tenterait de reconstituer. On zigzague de bribes en bribes, entre l'inquiétant, le grotesque, le pathétique, l'attendrissant.
Un univers étonnant, comme si des personnages de Kaurismaki évoluaient dans l'univers du Stalker de Tarkovski. Et la Pologne est toujours aussi riante et joyeuse. Tout est vieux, moche, froid et humide, on imagine que ça sent la clope et le chien mouillé. Tout est vieillot, un peu cassé, démantibulé. Comme l'histoire d'amour de Léon, comme sa vie tout entière, d'ailleurs. Il n'y a plus d'espoir, non non non. Mais qu'est-ce que c'est beau...