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lieux communs (et autres fadaises)
10 janvier 2016

murat(s)

LISIERES DU CORPS
de Mathieu Riboulet

Coïncidence(s) :le premier livre de l'année est à la fois la continuité et l'exact contraire de ce que fut le dernier (Histoire de ma sexualité), et réussit parfaitement là où son "opposé" avait échoué. Deux livres chacun d'un auteur gay (et tous deux qui le revendiquent, Arthur D. à ma droite, Mathieu R à ma gauche) qui, chacun, parlent à leur façon des hommes, de la sexualité gay, et, notamment, du désir.
Cela faisait un moment que je le  lorgnais, (que j'espérais secrètement me voir offrir), mais il restait désespérément pas soldé sur Priceministruche. Et voilà qu'un vendeur (au pseudo rigolo : fordubide) a eu la bonne idée de le mettre en vente à un prix raisonnable. Aussitôt vu, aussitôt commandé.
Et aussitôt reçu, aussitôt lu. (C'est un PLJ, petit livre jaune, de chez Verdier, collection connue pour lez talents rigolatoires de ses auteurs, -je plaisante-).

Plusieurs textes courts, (six) parlant donc des hommes, de leur corps, et du désir qu'ils inspirent. ("le corps des hommes", voilà qui devrait faire sourire certains de mes vieux amis, non ?, tant ce fut pour moi un sujet d'attention et de ressassement...). J'avais déjà lu un livre du monsieur (L'amant des morts, je crois) et j'avais déjà bien aimé, sans avoir pourtant prolongé l'expérience (c'est peut--être le sujet même du livre qui m'avait gêné).

Là je dois dire que j'ai ai été tout à fait séduit.
Six textes brefs, proches mais différents (évoquer une rencontre personnelle, ou ce qui aurait pu être une rencontre, décrire une photographie, retranscrire une situation, raconter une histoire...) avec toujours en commun cette écriture  dense, travaillée, soutenue, à la fois précise et lyrique, d'une lumineuse intensité, (sans qu'on ait, à aucun moment, le sentiment que l'auteur se regarde écrire (contrairement à Arthur D.) ou souhaite nous en mettre plein la vue). Ces phrases longues, sinueuses, mouvantes, avec des incises, des virgules et des répétitions comme celles que j'aime chez, par exemple, Jean-luc Lagarce, même s'il ne s'agit pas du tout ici de théâtre, ou peut-être justement d'une théâtralisation des rencontres, d'une scénographie du désir. C'est une langue qui sait se donner (mais qui se mérite, aussi).

Un masseur dans un hamman en Turquie, un jeune revendeur de beuh, un jeune homme avec son chien, sur une photo, dans les Pyrénées, un mec avec une béquille dans un sauna de Cologne, deux acrobates, le corps d'un serbe défunt... Six corps en question (sept en réalité, les acrobates sont deux) six intensités de regard, six potentialités de contact.

"Il faut avoir la force de s'arracher de là, de quitter la splendeur, de renoncer à elle, c'est à dire de rester rivé aux longs étiages où nous a déposés le désir éveillé et l'obligation faite de ne pas le combler."
(Murat)

"Rouler le joint promis, le prétexte officiel, le charger joyeusement, ne pas regarder à la dépense, le fumer en rêvant, d'amples bouffées pour l'un, d'autres, énergiques, pour l'autre, puis virer le t-shirt, s'allonger, s'accouder, ne tenir aucun compte des cotonnades passées qui saupoudrent le lit, la fenêtre, dans un moment le sol."
(Vouloir quelque chose)

"Il est, de manière générale, étrange, décidément, que nous ne devenions pas fous, plus nombreux, plus souvent, ou sous le poids des peines, des violences, des malheurs, ou sous celui, souverain, pléthorique, insensé que le désir suscite à chaque renaissance, c'est à dire constamment."
(Le nom du soleil en quechua)

"Rien ne s'est arrêté mais une suspension a saisi certains sens,un millième de seconde, soudain c'était comme si, même en ne changeant rien, rien n'était à sa place."
(Dimanche à Cologne)

Le plaisir de lire, simplement, se redoublerait alors de celui de lire à haute voix, tant c'est une écriture musicale, rythmée, alexandrine, scandée. Stylisation magnifique du désir pour un corps masculin. Lisières du corps pourrait bien devenir un livre de chevet.Petite

lisieres_du_corps

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