Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
lieux communs (et autres fadaises)
12 octobre 2016

tout ça dev(r)ait finir par arriver 2 (version longue)

NOCTURAMA
de Bertrand Bonello

Un des plus beaux films de l'année est programmé cette semaine dans le bôô cinéma.
Mauvaise pioche, il n'a droit qu'à quatre séances : deux à 20h30 et deux à 13h40 (séances dites "de retraités"! -qui d'autre peut aller au ciné ces jours-là à ces heures-là ?). C'est vraiment dommage, c'est vraiment rageant, et qu'on ne vienne pas me dire, dans ces conditions, que "le film n'a pas su trouver son public". Ca s'appelle une exécution en règle, c'est tout. Et tiens, coïncidence ?, c'est un peu de ça dont il est question dans ce film.
J'avais eu la chance et le grand plaisir d'assister à l'avant-première du film la dernière fois que j'étais à Paris, au cinéma du Panthéon, en présence du réalisateur et des journalistes du magazine La septième obsession. "Contre toute attente", le film m'avait soufflé, fasciné, époustouflé, et j'avais smsé à Hervé en sortant "je crois que j'ai trouvé mon film de l'année".
J'y suis donc retourné cet aprèm,  dans le bôô cinéma, pour voir, (nous étions trois dans la salle)... Et l'enthousiasme (l'emballement) de mon premier jugement non seulement s'est confirmé mais encore accru! Dès les premières images (un survol de Paris avec bruit d'hélicoptère -le film a failli s'appeler Paris est une fête-) j'étais pris, capturé, captivé. Je n'en perdais pas une miette. C'est l'histoire d'une bande de jeunes gens qui vont commettre des attentats simultanés, à Paris, justement,  puis se réfugient dans "un grand magasin" pour y passer la nuit en attendant que ça se tasse, et qu'ils puissent sortir tranquillou(s) le lendemain matin.
L'après-midi, la nuit, le matin. Voilà les trois parties du film, chacune traitée avec son timing ses contraintes et son rythme propres. Entre 14h et 5h du matin, avec un pic à 19h15 (je ne sais plus quel journal parle de "pliure" du récit et c'est exactement ça). Jeunes gens des deux sexes, de classe sociale, couleur de peau, niveau d'études et confession variés (ce qu'on pourrait nommer un échantillonnage), réunis pour faire tout péter.
On assiste à la préparation méticuleuse et fourmilière (des trajets en métro, des photos prises avec des téléphones, des intersections, des paquets qu'on récupère, des sacs plastique qu'on transporte, des téléphones qu'on jette dans les poubelles) où le temps est décompté minutieusement (à la minute près, justement), sans qu'on comprenne  tout à fait, à chaque fois, de quoi il est question. Itinéraires, minutage, instructions. On n'en saura guère plus sur le pourquoi de ces actions, le réalisateur ayant pourtant la finesse de nous insérer deux flash-backs qui nous renseignent sur la formation du "groupe" (et un peu le hasard qui y a présidé), conclus par un scène de danse collective de toute beauté.
On assiste au déroulement des actions multiples et simultanées qui vont soudain finir par prendre sens, à 19h15, se concrétiser sous forme de 4 explosions simultanées (et d'un assassinat, seul mort qui sera officiellement comptabilisé lors de ces attentats et des compte-rendus journalistiques qui en seront donnés). On constate ce qui fonctionne et ce qui merde, cette petite portion d'imprévu dûe au hasard ou simplement à la faiblesse humaine. Tout marche presque comme prévu. "Presque". Disons qu'on a huit des dix roulettes sur lesquelles "ça" aurait dû marcher optimalement (entre marge d'erreur et dommages collatéraux).
A ce moment, toutes les fourmis (ou presque) se sont hâtées pour gagner leur repaire dans le "grand magasin" où ils vont passer la nuit, en se perdant d'abord au milieu des clients puis en se dissimulant un peu partout à l'heure de la fermeture. (Ils ont un complice sur place, un des vigiles.)
Commence alors presqu'un autre film, la longue nuit dans cet endroit "rêvé" (un très grand magasin après la fermeture) un lieu de convoitise(s) et demarchandises où chacun peut réagir suivant ses envies. Tout est offert, disponible, et chacun va se laisser tenter. La mise en scène de Bonello était déjà remarquable dans la première partie, elle ne se relâche pas ici et monte encore d'un cran vers la perfection. C'est très plastique, très formel, et ça tombe bien puisqu'il s'agit dans tout cet espace de faire vendre, justement, des choses, avec l'esthétique frelatée et l'arrogance des riches. Marques, signes extérieurs, codes vestimentaires, luxe, tout ce qui justement leur est d'habitude presqu'inaccessible, à la grande majorité de ces jeunes. Et là soudain tout est là, disponible, à portée de main. Y a qu'à se servir. A faire comme si. c'est l'heure de la récréation. Avec le temps qui n'est (presque) plus marqué, qui s'immobilise qui s'étire qui ne passe presque plus (plusieurs fois ils se demanderont mutuellement l'heure qu'il est). Il y a ceux qui se reposent, ceux qui ont besoin de bouger, ceux qui font les cons, ceux qui commencent à flipper, qui vont et viennent et s'entrecroisent dans l'espace très complexe de ce "grand magasin" où la caméra, les décors, les cadrages, la musique même (composée par Bertrand Bonello) composent des tableaux touchants, intimes, incertains, magnifiques (j'ai un faible pour le jeune homme aux yeux et à la bouche maquillée qui fait un play-back sur My way, et qu'on retrouvera plus tard dans une baignoire sirotant du cognac). oui avec pour chacun(e) d'entre eux ce mélange troublant de l'enfant  et du jeune adulte (on ne sait plus trop quel est celui qui a déjà grandi ou qui n'en a plus envie).
Puis survient la dernière partie, celle de l'assaut, où le temps filmé va prendre une nouvelle forme, devenir complexe, démultiplié, diffracté, comme bafouillant, avec l'apparente neutralité des caméras de surveillance.  Qui permet d'une certaine façon de mettre à distance. Ca n'est plus un jeu, et pourtant ça y ressemble, oui ces jeux où les ados tuent des gens virtuels qui ressemblent à des vrais. Des cibles (tous ces personnages qu'on connaît à présent un peu plus) et des exécuteurs, casqués, armés, anonymes, impersonnels. Bam bam bam. C'est l'irruption de ce no future que, confusément, chacun des jeunes gens semblait appeler. Méthodique, et encore une fois magnifiquement scénarisé découpé et filmé. Illustré(s) avec deux choix musicaux finaux a priori étonnants : le Call me de Blondie puis la musique du générique d'Amicalement vôtre, de John Barry. Qu'on continue d'entendre bien longtemps après être sorti de la salle.
Oui, un grand grand film.

438207

Commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 384 527