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lieux communs (et autres fadaises)
30 mai 2019

bourdieu ?

106
LOURDES
de Thierry Demaizière et Alban Teurlay

C'est grâce à Dominique que j'y suis allé (au début je n'en avais pas envie du tout et j'étais juste disposé à ricanasser). J'en sors et je suis sidéré.
Lourdes, je n'y suis jamais allé en vrai (Dieu m'en garde, hihihi), mais je connais déjà un peu par le cinéma, que ce soit dans le pieux car(a)mélisé (Bernadette, de Jean Delannoy), l'observation décalée (Lourdes, de Jessica Hausner),  la satire vitriolée à (gros) boulets rouges et gros sabots (Le Miraculé, de Mocky), ou encore carrément l'ailleurs, l'extrême petit bout de la lorgnette (Lourdes l'hiver de Marie-Claude Treilhou). En gros, d'un côté la religion, et de l'autre côté le commerce. Miracles, prières, grotte, cierges, eau bénite par jerrycans, médailles, messes, et vierges en plastique. Les "marchands du Temple"...
Et les pèlerins. Par trains entiers, auxquels vont s'intéresser les deux réalisateurs. A travers plusieurs personnages emblématiques  qu'on va suivre, de plus ou moins près, tout le temps de ce fameux pèlerinage. Le premier personnage, celui sur qui s'ouvre le film d'ailleurs, et qui nous en met un bon coup derrière les rotules, est celui d'un travesti "d'un certain âge" qui se prostitue au Bois de Boulogne, et vient ici, régulièrement chaque année pour le fameux pèlerinage en question.
Cette entrée en matière, déjà, nous place d'emblée à des années-lumière du cliché attendu. Lui succède aussitôt une famille (papa maman deux enfants), dont l'aîné présente un défaut de croissance et dont le plus jeune, à deux ans, souffre d'une maladie rare qui ne devrait pas lui permettre de vivre très longtemps au-delà de, justement, cet âge, tous en train de prier ensemble, car le père et l'ainé vont partir le lendemain à Lourdes pour le salut du plus jeune, qui ne peut se déplacer. Puis le cas d'un homme silencieux qui ne peut s'exprimer qu'en montrant avec son doigt, successivement, chaque lettre des mots de ce qu'il veut exprimer. Puis une adolescente au visage fermé, accompagnée de son père, qui vient comme chaque année pour mettre fin à la fois à sa maladie et au harcèlement scolaire dont elle est victime. Puis un homme atteint de la maladie de Charcot, qui nous décrit la façon inexorable dont son corps se paralyse progressivement, jusqu'à la mort inéluctable que lui a annoncé un médecin deux ans auparavant.
L'énumération des différents personnages pourrait juste évoquer un terrible catalogue à la façon de Toute la misère du monde, faire ricaner certains, et s'apitoyer d'autres. Mais la façon dont les deux réalisateurs nous les présentent, d'abord, puis les suivent (les retrouvent) tout au long du film, au fil des différents "passages obligés" (rituels) de ce pèlerinage, est simplement bouleversante, parce qu'extrêmement respectueux. A la juste distance. A chaque instant. Chacun de ces personnages souffre, à sa façon, chacun(e) est venu là pour chercher quelque chose, chacun(e) va rencontrer d'autres personnes, chacun(e) prie, et chacun, à la fin du film, prendra le même bain (en principe lustral), sur lequel d'aiileurs  se refermera le film, laissant chacun(e) face à son attente et à son discours intérieur (un principe qu'on avait travaillé au théâtre avec Pépin et qui ici fonctionne à merveille).
Je ne suis pas croyant, je suis même un athée fervent, (et c'est drôle, j'avais été prévenu, avant d'entrer, sur le parvis du bôô cinéma, par ma vieille copine Françoise L. que le film était "très catho" (encore plus drôle que cette remarque vienne d'elle car elle l'est, justement, "très catho"...)  mais j'y suis allé, pour vraiment me rendre compte. Et c'est peut-être ce point précis (tout sauf un point de détail, Lourdes, tout de même...) qui me gênait le plus aux entournures, a priori (d'ailleurs la salle, quand je suis entré, était remplie de vieux cathos, justement, pas du tout notre public habituel j'avais le sentiment de m'installer pour une petite messe solennelle) l'aspect liturgique et religieux du truc , et je me suis comporté comme j'avais pu le faire déjà en voyage, en Inde, par exemple, en écoutant les prières dans une langue que je ne connaissais pas, et j'ai fait comme si le catho était une nouvelle langue étrangère, aux côtés du yiddish, de l'araméen et du sanscrit, que je ne la comprenais pas vraiment. La scénographie et les chants d'un rituel que je ne comprenais pas. Et c'était très bien comme ça.
Thierry Demaizière et Alban Teurlay ont fait un sacré boulot, à la fois dans ce qui est filmé et ce qui est mont(r)é, et à aucun moment je n'ai décroché (je n'ai même pas fermé l'oeil, c'est dire.)
J'ai beaucoup pleuré pendant le film (et je pense que je n'étais pas le seul dans ce cas), car les deux réalisateurs ont choisi de se focaliser sur l'humain, le personnel, l'individuel. L'intime. Et que, face à la foule des malades -et des croyants-, ils ont su faire exister tout ceux qui les entourent, les religieux, certes, mais aussi les médecins, les infirmières, le accompagnants, les auxiliaires de vie, oui les faire exister d'une façon tout aussi forte (avec de la tendresse, avec de l'humour, avec de l'émotion). Avec surtout une grande simplicité, qui fait la force incontestable du film.
Rassurez-vous, je n'ai pas connu de révélation mystique ou autre illumination du genre. Athée je suis entré, et athée je suis ressorti, heureusement. Si je me suis converti, c'est juste à l'émotion intense générée par le dispositif. Un film intelligent, bien au-delà des bondieuseries omniprésentes du décor dont il traite. Jamais malveillant, jamais complaisant, jamais voyeur, jamais risible ni grotesque (alors que, grottesque, le sujet l'était, par définition...).
Une très belle réussite.        

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