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lieux communs (et autres fadaises)
27 septembre 2023

le cadeau de tante fernande

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JEANNE DIELMAN, 23 QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES
de Chantal Anne Akerman
(ainsi écrit au générique)

Je suis émotif. très émotif, trop émotif (plus jeune, j'ai même été diagnostiqué hyper-é). Déjà le fait de projeter ce film-là dans le bôô cinéma me touchait, sans que je sache vraiment pourquoi, en plus on était 9 dans la salle (du même nom) à cette séance de 16h, et ça m'a fait plutôt plaisir, et voilà que nous ont été projetées les bandes-annonces des FEUILLES MORTES de Kaurismaki, et de CRIA CUERVOS de Saura (qui pourtant hélas le pauvre ne bénéficiera que de deux maigrelettes séances), qui m'ont mis carrément en hyperventilation émotionnelle (la montée des larmes, la respiration coupée, etc.).
Je n'avais pas vu ce film à sa sortie (1976) -du temps de ma folle et insouciante jeunesse-, (en plus en 1976 arghhh j'avais d'autres chats à fouetter fermons la parenthèse) je ne l'ai vu qu'une trentaine d'années plus tard, un peu par hasard, à l'occasion d'un festival parisien (j'ai d'ailleurs oublié lequel). J'avais découvert Chantal Akerman quelques années  après (le début des années 80 ?) , à Besac, au Centre Pierre Bayle (les projos post-soixante-huitardes où on était assis par terre), avec l'austère (en 16 et en noir et blanc) JE TU IL ELLE. (et Niels Arestrup en camionneur dans la dernière séquence).
Mais là! Delphine Seyrig est seule en tête de générique, dans son petit appartement aux lumières (et aux sons) très travaillés, qu'elle arpente inlassablement cloc cloc cloc le bruit des talons infatigablement. Les gestes du quotidien, leur succession qui font vingt-quatre heures de la vie d'une femme (fin du premier jour), puis re, et enfin fin. Soixante-douze heures, pas plus. L'exigence des plans fixes et de leurs axes rectilignes de prises de vue. Caméra posée, toujours immobile, plus haut que chez Ozu, (pas ici de tatami). Un dessus de lit, une serviette, une toile cirée, une soupière, une table de cuisine, avec une ou deux chaises, un canapé-lit qui se transforme en lit lorsqu'on le déplie (l'effort et l'effet produits), s'ouvre le soir et se referme au matin, un couloir, un autre, vus dans l'axe, ou perpendiculairement. La géométrie de ce petit appartement se déplie en milliers de pas cloc cloc cloc sans cesse parcourus lumière interrupteur noir, d'une pièce à l'autre ici et là, d'ici à là. Et ça recommence. Comme si ça ne s'arrêtait jamais.
Jeanne Seyrig impériale, en chemise de nuit, en blouse, puis en manteau et foulard sur la tête, car elle sort, ici et là aussi, via le sas de l'ascenseur où elle est toujours filmée dans le miroir. Les sorties de la dame semblent tout aussi ritualisées que ses déambulations appartementales.
Revenons à l'appartement, revenons-y sans fin. Les activités domestiques (ménagères) de la dame, envisagées "simplement" et montrées idem. Concrètement. Préparer, ranger, nettoyer. Faire en sorte. Se prostituer aussi, tout aussi  "simplement", (le secret derrière la porte), réglé comme du papier à musique. De la prostitution domestique considérée comme n'importe quelle autre activité ménagère (la cuisine la vaisselle le ménage). Impeccablement. Impitoyablement.
Le bel ordonnancement rigoureux du premier jour posé comme modèle (tout va bien, pour le mieux dans le meilleur des mondes) .Jeanne Dielman, en son intérieur, Jeanne D. et les autres : le bébé que parfois on confie à sa garde, la mère du bébé (qu'on ne verra jamais, le client, (à chaque jour suffit sa peine) le fils qu'on voit partir le matin et rentrer le soir, montré comme un vieil adulte, sans âge, au comportement aussi codifié, millimétré, quantifié, que celui de sa mère. Chantal Akerman ne nous montre pas tout, mais ce qu'elle montre elle nous le montre précisément. En détail(s).
La rigueur des enchaînements du premier jour, comme autant de batailles successivement gagnées, va soudain peu à peu se défaire, en douceur. Se fissurer. Il suffit de pommes de terre trop cuites pour que Jeanne / Delphine se mette soudain à tournicoter, de pièce en pièce, sa marmite à la main, comme un volatile déboussolé, dérangeant soudain le beau cahier des charges impeccable et sans rature. Et ce n'est que le début. De détail en détail va se propager comme une sournoise contamination, jusqu'à ce plan exténué, jusqu'au bout de sa fascination, avec cette femme immobile dans un fauteuil, en train de contempler l'étendue du désastre.

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