BLED NUMBER ONE
de Rabah Ameur-Zaimeche
On l'avait découvert en noir et blanc, dans le lucide et prometteur WESH WESH QU'EST-CE QUI SE PASSE ?, on le retrouve ici, en couleurs, de l'autre côté de l'océan, mais toujours aussi lucide. Rabah Ameur-Zaimeche filme comme il parle : simplement, doucement (en apparence). Mais les échos du film continuent de résonner longtemps, à la façon de l'écho de la guitare de Rodolphe Burger, qui a composé la musique du film, mais y intervient aussi en personne, lors de deux scènes superbes (la première m'a ému, jusqu'aux larmes, et la deuxième aussi d'ailleurs, tiens)
Karim,arrivé de France (dont on finira par savoir qu'il sort de prison) débarque en Algérie. C'est l'homme au bob orange, celui qui ne parle pas beaucoup, qui se promène, qui observe, et semble être immédiatement en porte-à-faux avec les traditions (il ne prie pas, il boit de l'alcool, il va parler avec les femmes) toujours très vivaces dans le bled en question. Il va alors croiser Louisa, jeune femme en colère, partie de chez elle avec son fils, chassée par son mari, et revenue provisoirement dans sa famille "dont elle fait la honte".
La pudeur extrême du récit de cette rencontre (qui ne constitue d'ailleurs qu'une des lignes de force du film) force le respect. La narration privilégie le non-dit (et le non-montré), forçant le spectateur à combler les vides, à reconstituer ce qui est resté derrière la trame, tous ces fils de couleurs entrelacés dans une broderie dont on ne saisirait pas toujours le dess(e)in. Le réalisateur procède par petites touches, comme sur la réserve, à l'image de son héros (son alter ego) qu'on pourrait croire quasiment absent, tellement il est traité en mineur, d'un peu loin. Le film avance par bonds et par zigzags, parfois un peu rudes (certains changements de plan sont surprenants -je n'ai pas dit maladroits, hein, je ne suis pas assez calé pour juger, je dis juste surprenants-), tant dans la diversité des thèmes abordés (le retour au pays, la religion, la condition féminine, l'intégrisme, la famille, les rapports hommes / femmes) que dans le traitement des scènes (entre le réalisme ethnographique et la fulgurance poétique, s'est enraciné un travail indéniable sur la couleur, le cadrage, la composition, avec des effets de contraste plutôt saisissants)
Je reviendrai, pour conclure, sur les deux admirables scènes que j'ai déjà évoquées, avec Rodolphe Burger (à la guitare) et Rabah Ameur-Zaimeche (à la présence muette),au mileu et à la fin du film, la première comme une respiration, la seconde comme un soupir. L'intervention physique du musicien de la bande-son au sein de la fiction est d'autant plus forte qu'elle est à chaque fois filmée très sobrement. La première m'a pris par surprise, et vraiment subjugué. Faisait longtemps que je n'avais pas ressenti comme ça la beauté convulsive (comme dit le poaite), en pleine face, au détour d'un écran. C'est peut-être ça, le plus étonnant cette (comment pourrais-je dire ?) démultiplication entre la sobriété -l'économie ?- des moyens mis en oeuvre (plan fixe, une guitare saturée et reverbérée, un homme qui joue, un autre homme accroupi, herbe pelée, eau immobile, et basta) et l'intensité tangible de l'émotion provoquée (tout du moins en ce qui me concerne,hein..) J'étais pantelant.
Un homme à suivre donc, (et doublement), même lorsqu'il sort du film, comme ici, en biais et à contrejour. Sans pathos. Furtif. Ce p'tit gars là, avec son bob orange, il ira loin...
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