la clé dans la serrure
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LES PROIES
de Sofia Coppola
Des fois, c'est bien d'aller voir un film en n'ayant aucune attente, il arrive qu'on soit agréablement surpris. Ce fut le cas pour ce film-ci. Sofia Coppola ? Oui mais... Nicole Kidman ? Bof... Remake du film de Don Siegel avec Clint Eastwood ? Je l'ai pas vu... Colin Farrell ? Faut voir...
Et ce fut tout vu. Une très bonne surprise. Pour les vieux cinéphiles, une ambiance Picnic at Hanging Rock : pensionnat de jeunes filles en fleurs, personnel enseignant féminin, toutes en robes virginales boutonnées jusqu'au dessous du menton (un décolleté ? couvrez-vous, quelle indécence...) Sauf qu'on n'est pas en Australie, mais aux États-Unis, pendant la guerre de Sécession. Et dans ce gynécée étouffant à en devenir moite, avec sa structure clanique à la façon d'une ruche (autour de la reine-mère Nicole Kidman) va faire irruption un faux-bourdon velu et... bourdonnant, à la patte abîmée, sous les traits de Colinchou Farrell (qui, me semble-t-il, était, passez-moi l'expression, bien plus bandant dans ses premiers films, plus authentique plus sauvage, fermez la parenthèse).
Heureusement, le nombre d'élèves est réduit (il n'en reste plus que cinq, pour cause de guerre), et celui des enseignantes aussi (une prof (Kirsten Dunst, toujours aussi bien) et la dirluche (Nicole K., déjà nommée). Heureusement car notre viril faux-bourdon va éveiller les ardeurs de chacune, en fonction de son âge et de ses moyens, et il eut été compliqué d'en émoustiller davantage. Tous les âges sont représentés, car il y a parmi les élèves une grande godiche, visiblement qui a du redoubler sa fin d'études, (Elle Faning, très bien aussi) et qui semble très intéressée par les travaux pratiques en biologie appliquée et anatomie comparée...
Le caporal butinera avec les trois plus âgées (brandy par ci, bisou par là, et déclarations, et promesses de rendez-vous nocturne) jusqu'à une funeste nuit où il poussera sa pollinisation un peu trop loin, et les choses ne se passeront pas comme prévu, pour aucune (et pour aucun), et ça sera le bazar dans la ruche.
Le mot gynécée est parfaitement adapté à ce film (et aux films précédents de Sofia C) : femmes femmes femmes (ça y est je vais avoir la chanson de Serge Lama dans la tête toute la matinée, et j'espère que vous aussi), vase clos, et l'autorité (la patronne) qui chapeaute tout ça (la mère, la directrice, ou la reine). Et le poids des conventions et des convenances qui commence sérieux à craquouiller aux coutures (serrés et réguliers les points, ce sera dit plusieurs fois dans le film), sous la pression de l'effervescence des sens. Et Colinchou serait un peu le jardinier de tous ces Lady Chatterley-là... A le voir manier la pelle le rateau la binette la bistouquette la serfouette (trouve l'outil qui ne va pas avec les autres), toutes les pucelles, damoiselles, donzelles, jouvencelles (même jeu que précédemment) s'émeuvent et c'est rien de le dire... Concours d'élégance, voire d'audace vestimentaire (un décolleté ? couvrez-vous cf plus haut), rivalité, chuchotis, oeillades, minauderies et quasi-pâmoisons, rien ne manque dans la première partie du film (jusqu'à la funeste nuit) et c'est comme si les Virgin suicides donnaient la main à Marie-Antoinette (et même à la Scarlett Johansson de Lost in translation) pour effectuer leur petit pas de danse corseté mais enjôleur.
Après, tout change, et les choses se corsent. Tout devient soudain plus violent, plus brutal (mais, élégance oblige, le plus dur est toujours off). Sofia Coppola met le turbo, -enfin, son turbo à elle- illustre l'adage "la violence appelle la violence" et c'est vrai que ça commence à faire (de plus en plus) mal. Mais le film toujours se tient, impeccablement. Avec une grande élégance (la photo de Philippe Le Sourd touche au sublime). Je parlais de très bonne surprise et je confirme. Nicole Kidman m'a bluffé (peut-être parce que je ne l'avais pas vue depuis longtemps ? 2010, Rabbit Hole) et mérite aussi les éloges (mais, comme dirait Téléramuche, "le reste de la distribution est à l'avenant" -moi je dirais plutôt "...n'est pas en reste" ce qui veut dire pareil, mais en faisant plus son malin...)
En parlant de malin, justement, ayons une petite pensée émue pour notre caporal Colinchou qui ne l'a pas vraiment été, quand même, à vouloir canonner ainsi, virilement, à tous les vents, et aurait du faire montre d'un peu plus de discernement, en faisant fonctionner son cerveau plutôt que son organe viril... Tel épris qui croyait prendre (hihihi).
par contre je trouve l'affiche pas à la hauteur du film : parfaitement illisible, prétentieuse, chichiteuse