palettes
DERNIER MAQUIS
de Rabah Ameur-Zaïmèche
Suite donc de l'après-midi des films que j'attendais, et voici le second (à 18h, et toujours sous la pluie!). Trosième film donc de Rabah Ameur-Zaïmèche (après Wesh Wesh et Bled Number One). Dès son premier film, le bonhomme m'avait plu, il a confirmé haut la main avec le second, et voilà qu'il met encore la barre plus haut pour le troisième, c'est dire. Pourtant a priori les histoires de religion ne m'intéressent pas plus que ça, et la prise de conscience politique prolétarienne n'a rien de folichon. Et pourtant...
Le réalisateur joue le rôle de Mao, le patron (d'une usine de palettes et d'un garage de camions.) Il nous fait rentrer tête baissée dans cet univers humainement et socialement "défavorisé" mais plastiquement (et graphiquement) extraordinaire. Un monde uniquement masculin (tiens c'est vrai, il n'y a absolument aucune femme dans Dernier Maquis) avec des gars en bleu de travail qui évoluent au milieu de piles de palettes rouges...
La construction, un peu lâche en apparence, (qui pourrait sembler presque désinvolte,) présente une série de vignettes, de chapitres qu'on pourrait nommer ("l'entreprise", "la circoncision", "l'imam", "le ragondin", "la grève"...), articulés dans une narration plutôt fluide et aérée, mais qui progresse inéluctablement jusqu'à son ultime plan. (Il me semble que, à l'époque, j'avais été un peu déboussolé par le rythme du montage de Bled Number One, qui n'hésitait pas à couper les plans très sec, en plein élan. Ici, au contraire, Rabah Ameur-Zaïmèche n'hésite pas à les étirer, à les distendre, à parfois les suspendre, avec des effets alors quasiment lynchiens...) Si le visuel (le décor du labyrinthe rouge des palettes, les mouvements d'appareil souvent montant vers le ciel...) est prégnant, l'audio n'est pas en reste, entre les zébrures sonores du passage des avions et les chocs sourds d'une musique quasi industrielle, en tout cas plutôt virilement répétitive.
Il est donc question de pouvoir (celui du patron, celui de la foi, celui de l'argent) et de complexité dans les rapports humains (surtout ceux du travail et de la religion), sans que jamais le didactisme du discours prenne le pas sur l'approche poétique, stylistique, humaniste. Comme le personnage qu'il joue, le réalisateur ne hausse quasiment jamais la voix (qu'il a petite et calme) ni ne se départit de ce demi-sourire qui, même quand la situation se tend, peut-être indifféremment perçu comme apaisement ou provocation. Et le film tient sa note, sans jamais hurler lui-aussi. Brute, originale, industrieuse, intense, mais en même temps fragile, heurtée, retenue. On part du sol, du terrain, les mains dans le cambouis, et comme souvent la caméra, on s'élève (la tête dans les nuages ?).
Rabah Ameur-Zaïmèche fait partie de ces gens, pas si nombreux, qui, mine de rien, ont su se réapproprier le cinéma, le vrai. Comme acte de création, mais aussi comme prise de parole. En mettant les deux sur un pied d'égalité. Et ses films sont à l'image des palettes de cette usine : des objets simples, solides, fonctionnels, qui pourraient sembler primaires, rudimentaires, mais sont juste à la fois utiles et beaux. Très utiles et très beaux.
(top 10, idem)