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lieux communs (et autres fadaises)
17 août 2014

roadie

MISTAKEN FOR STRANGERS
de Tom Berninger

Puisqu'il ne sort toujours pas en France, j'ai fini par l'acheter (5$, ça va!). Un documentaire réalisé par Tom Berninger, le frère de Matt Berninger, le leader du groupe THE NATIONAL, à propos de... la dernière tournée mondiale de THE NATIONAL, sur laquelle Tom avait été engagé comme roadie (fait engager par son frère Matt) occasion pour lui de tourner un film sur cette tournée, la vie d'un groupe (en tournée), et... (surtout) les relations entre frères, sujet sensible quand le votre est une "rockstar" tandis que vous, à 30 ans, vous ne fichez pas grand-chose de vos journées, ni de votre vie d'ailleurs, et que vous pensez (ou que votre frère, justement, pense) qu'il serait temps que vous fassiez enfin quelque chose, qui pourrait vous aider à avoir confiance en vous, à connaître votre quart d'heure de gloire, bref à la fois à vous légitimer et vous sentir mieux, et ce quelque chose, c'est ce film.
Tom Berninger est le jeune frère de Matt (ils ont 9 ans d'écart). Il est grassouillet, il aime le hard-rock, la bière, les pizza slices, et pense que "le rock indie est une connerie prétentieuse". A l'invitation de son frère de venir bosser sur la tournée (et d'en profiter pour voyager, en même temps), il remplit son petit sac, prend sa petite caméra, et rejoint le staff de THE NATIONAL. On est d'abord étonné de la qualité des images, et, lorsqu'on voit Tom B. à l'écran, avec sa petite caméra à la main (d'accord, au début, il se filme dans un miroir, mais après, tiens qui est-ce donc qui la tient ? -et le générique le confirmera, envoyant des thanks à toute une escouade de cameramen...-  on se dit qu'on va avoir droit à nouveau à un genre de vrai-faux documentaire, comme Le grand'tour, ou, mieux, I'm still here (quand Joaquin Phoenix décide de devenir une star du rap).
Pas tout à fait...
Dans sa première moitié, on est effectivement dans le documentaire, le reportage (même si certaines scènes semblent un poil scénarisées et interprétées), par la mise bout à bout de moments bruts plus (les coulisses, le backstage, les moments pris sur le vif, la scène, les sorties de scène) ou moins (les questions 'on de Tom) intéressants. A un moment (spoiler) Tom se fait virer de la tournée parce qu'il n'a pas assuré (il a bu trop de bières, il a oublié d'acheter du Toblerone, il a perdu la liste des invités sur laquelle figurait Werner Herzog...), et donc il part (jolie séquence, sur fond de Vanderlyle Crybaby Geeks) avec (l)armes et bagages (et la caméra aussi donc.)
Car le film continue. Mais à Cincinatti, retour chez Mom and Dad, pour une petite séance de thérapie familiale light, histoire de reprendre confiance et le cours du film. Et c'est à ce moment que les choses deviennent plus intéressantes (tordues ?) , quand le film abandonne le "reportage sur THE NATIONAL" pour s'élargir (dévier) en un "fabrication du film qui était censé au départ être un doc sur THE NATIONAL".
Le syndrome du "mec qu'on voit tenir la caméra à l'écran pour faire son film et qui ne peut donc pas s'être filmé tout seul" devient celui du "film qui est apparemment terminé puisqu'on est en train de le voir mais dont pourtant on suit toutes les étapes de l'élaboration et du montage, de la mise en forme et même de la projection" et la perspective devient assez vertigineuse.
Et c'est à ce moment que ça en devient vraiment plaisant, et même émouvant. Ce n'est pas facile de vivre dans l'ombre d'un grand frère devenu célèbre, même si c'est juste "famous like that" (geste de Matt B. écartant son pouce et son index d'à peine quelques centimètres) et ce film était pour Tom B. non seulement l'occasion d'exister (même si au départ surtout en tant que "frère de") mais aussi de parler de son frère (mieux, de parler à son frère), en nous donnant l'impression de  plusieurs points de vue en même temps : le sien, celui de la caméra, les instants vrais -ceux du filmeur- (c'est agréable de surprendre l'intimité d'un groupe en tournée, de voir que ces gens vivent quasiment comme vous et moi, qu'ils sont des vrais gens comme vous et moi, qu'ils bossent, qu'ils dorment, qu'ils boivent, qu'ils vont aux toilettes, qu'ils se brossent les dents, qu'il leur arrive d'avoir le trac, de pleurer, de se foutre en colère, qu'ils ont un appartement, qu'ils montent un lit pour héberger leur frère) et les fabriqués -ceux du scénarisateur- (plus ou moins : les questions idiotes, mais aussi les répétitions de gestes qu'il fait faire aux gens soit disant avant de les filmer alors que tout est filmé, ou celles qui sont rejouées mais dont on ne le saura qu'après -comme dit le générique de fin, "dans tout film il faut un Dark Vador"-) . Ce qu'on montre (ce qu'on veut bien montrer). Ce qu'on monte (et la façon dont on le monte). Ce qu'on a l'air de dire (et ce qu'on dit vraiment).
J'adore cette scène , tout à la fin, où Tom, assis devant son ordinateur, en train de monter son film -celui qu'on est en train de voir- est visiblement filmé par son frère, qui lui fait croire que la caméra ne tourne pas, tandis que Tom,lui, cache, avec son bras, sur son moniteur, une photo de son frère (celui qui est en train de le filmer) parce qu'il ne veut pas que l'autre (que le spectateur) puisse la voir, mais qu'il bouge quand même brièvement son bras pour qu'on puisse quand même voir ce qu'en principe il ne voulait pas  montrer, ni à à son frère (celui qui est en train de le filmer en faisant croire qu'il ne le filme pas), ni à nous. Agréablement vertigineux, non ?
Comme si Tom Berninger parvenait in extremis à nous persuader de la légitimité de son entreprise, et des applaudissements qu'elle mérite. De l'émotion, aussi. Avec quelques regrets quand même : en plus de la durée du film (1h14), celui que le thème qui semblait pourtant évident des "frères" (si le film a été fait par le frère du chanteur, le groupe THE NATIONAL est aussi composé, en plus de Matt B., de deux paires de frères, qui sont un peu passés à l'as, et il y avait peut-être là une piste qui n'a pas été suffisamment exploitée, mais, comme le dit un des jumeaux à Tom qui l'interviewe "de toutes façons, tu fais un film sur ton frère, pas sur nous. nous, tout le monde s'en fout...")

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