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lieux communs (et autres fadaises)
10 avril 2015

nous qui désirons sans fin

REVOLUTION ZENDJ
de Tariq Teguia

Le troisième film du monsieur (on a déjà passé les deux premiers dans le bôô cinéma). J'avais mis Rome plutôt que vous dans mes films de l'année. Puis j'avais mis aussi Inland dans mes films de l'année. Et je mettrai encore Revolution zendj dans mes films de l'année. Du cinéma qui m'émerveille, me fait venir les larmes aux yeux et palpiter le plexus , oui, qui m'enchante et me fait ronronner cinéphiliquement de contentement.
Le début, par exemple, est fracassant : du blanc cramé sur l'écran (Tariq Teguia aime les blancs cramés), on devine un homme qui marche (j'ai pensé au topographe d'Inland), qui se rapproche de nous, doucement, flouement (je suis obligé d'inventer des adjectifs) tandis que monte lentement un son de guitare(s) qui lui aussi m'électrise (je n'ai pas réussi à voir au générique de fin de qui il s'agissait) et que viennent s'inscrire sur l'écran les petites polices (Tariq Teguia aime les petites polices) des noms du générique, sur fond rouge-orangé me semble-t-il, jusqu'au très graphique titre, découpé en carré.
On est ensuite dans le film, le même homme qui marche, d'autres hommes, des visages enturbannés, filmés frontalement, cadrés splendide. Qu'est-ce que tu fais là ? lui demandent-ils (et ils semblent alors le faire au spectateur aussi.) Ils le laissent passer. Nous aussi.On le suit, on les suit. (J'avais presque du mal à reprendre mon souffle tellement je jubilais.) Et on passe à autre chose, ailleurs. Oui, la première chose qui frappe c'est l'ahurissante perfection plastique. Tout le temps, à chaque plan, à chaque image. Sans personnages dedans, déjà, chaque cadre (tableau) leur préexiste, de toutes ses forces. Couleurs, textures, composition, angle de prise de vue, focale, chaque plan mérite la contemplation. L'admiration. Le temps qu'on prend.
Passé(e) cette fascination initiale (qui perdurera pendant tout le film, jusqu'à la dernière seconde), le spectateur doit (peut) ensuite être attentif, car y  paraissent des personnages (certains devant, d'autres plus fuyants, parfois même fantômatiques), qui y disent (se disent, nous disent) des choses, et qu'il s'agit alors de reconstruire le propos (ou à chacun de se reconstruire son propos, de par les éléments que le réalisateur nous propose -ou pas-) de tenter d'organiser toute cette fulgurance, -mais est-il vraiment indispensable de vouloir donner du sens à toute proposition plastique  ?- de mettre en place puis de baliser, s'il le souhaite, des petits sentiers transversaux de compréhension. Ou bien d'accepter de se laisser porter, envahir, transporter. De perdre pied, de lâcher prise. D'être voyagé plutôt que voyageant. Ici ou là, quels sens, quelles directions, quels choix. Le film devient alors un atlas fascinant où chacun voyage à sa guise. Mieux qu'un musée, un état des lieux, contemporain,vivant, remué, retracé, distordu, revisité...
Avec ce troisième film, on commence à avoir (un peu) l'habitude de ce que Tariq Teguia nous donne à voir. De ces fragments narratifs, visuels, chromatiques. De ces notes (aussi bien être celles du carnet que celles de la portée.). Propositions, installations, détournements, situations. Il semble que cette fois que le propos se soit -géographiquement- encore élargi. Il est question de l'Algérie, toujours (le "personnage principal" est un journaliste algérien) mais il sera aussi question du Liban, de la Grèce (le deuxième personnage principal est une jeune fille, grecque, qui nous emmenènera d'ailleurs jusqu'à Athènes, dans un final rageusement rouge et noir), de l'Irak (où l'on verra le troisième personnage principal en plein délire de reconstructions commerciales et lucratives) et même des Etats-Unis. Beyrouth Bagdad Bassorah (j'ai retenu les villes en B. même si on finira sur une ville en A).
Question aussi de révoltes, de soulèvements, de répression, de révolution, oui ("La révolution, ça veut dire tourner... " Béjart, samplé par Hugues Le Bars). De foyers de. D'épicentres. d'insurrections qui viennent. Le "zendj" du titre est celui d'une tribu d'esclaves noirs qui se seraient révoltés au XIème siècle en préférant la mort à la soumission, et c'est à leur recherche que s'est lancé le journaliste algérien). C'est dommage, le film ne passe plus (il n'était projeté que deux fois, dont l'une où je ne pouvais pas être là) et je ne pourrai donc pas le revoir dans l'immédiat (peut-être à Paris à la fin du mois ?).
Hervé, me semble-t-il avait émis quelques réserves, historiques peut-être, ou sur la définition de certains personnages, je ne suis plus sûr. Moi, presque rien. (Peut-être juste sur le pourquoi de la nécessité de remettre deux fois la même scène (le "théâtre moderne" des jeunes grecs) filmée quasiment de la même façon.) Je me suis juste laissé allé, comme un bout de bois entrainé par le courant, flottant admirativement, ballotté baladé entre élégie et épopée, me disant, à la fin, ébloui, "oui, pour moi, c'est ça le cinéma, c'est vraiment ça, c'est tout à fait ça."

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