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lieux communs (et autres fadaises)
11 avril 2015

à gorge déployée

THE CUT
de Fatih Akin

Non, je plaisante... (le titre).
Finalement, j'ai quand même réussi à le voir (mauvaise semaine pour "nos" films dans le bôô cinéma : il était programmé deux fois seulement -comme le film de Tariq Teguia-, une, justement en même temps que lui -c'est ballot!- et l'autre, heureusement, en ce Mardi de Pâques -ah bon, ça n'existe pas ? -). On avait tenu à le passer, malgré les critiques pas franchement enthousiastes, parce que, bon, c'est quand même notre Fatihchounet chéri-chéri de Head on, de Soul kitchen, et, surtout surtout de De l'autre côté, alors, hein...
En plus, l'affiche annonçait Tahar Rahim (en gros) et Simon Abkarian (en plus petit), deux raisons de plus de ne pas de priver... 2h19 (dont un générique final de plusieurs kilomètres qu'on a suivi jusqu'au bout avec Christine pour voir où ça avait été tourné : Malte et Jordanie!), et des milliers de kilomètres aussi dans le film, puisque notre héros part d'Anatolie en 1915 pour arriver à Minneapolis (et même un peu plus loin) en 1923!
Fatih Akin a visiblement fait péter la tirelire dans une superproduction (il faut voir la liste impressionnante des co-producteurs) qui a dû coûter plus que bonbon (il nous avait habitués à plus simple!), une ample fresque historico-familiale, qui, si elle se laisse voir avec plaisir (je n'ai même pas fermé l'oeil une demi-seconde!) laisse quand même à la fin un léger léger arrière-goût de déception. Jusque là, Fatih, j'adorais sans arrière-pensée (Ah si Polluting paradise n'était -franchement- pas inoubliable mais bon c'était "juste" un doc.)

Là, j'ai pensé "Il s'est pris les pieds dans le tapis de ses moyens" et comme la formule m'a plu, alors je vous la livre telle quelle.

Le début du film est agréable, Tahar Rahim est mimi comme tout en forgeron aux mains noires, sa femme est jolie, ses fillettes adorables, les voisins charmants, et tout et tout. La vie au village, youp la boum. Ca bascule assez vite et tragiquement, puisqu'il est s'agit du génocide des Arméniens par les Turcs (et Tahar, qui s'appelle Nazaret dans le film, est Arménien), sujet toujours tabou en Turquie, d'ailleurs. Le voilà emmené en pleine nuit, avec tous les hommes de plus de 15 ans, puis employés à casser des cailloux pour construire des routes, et finalement emmenés* dans une marche terrifiante qui aboutira à l'égorgement de presque tous les hommes sauf un (Nazaret, gracié par celui qui devait lui trancher la gorge mais en est incapable et ne fera qu'enfoncer son couteau dans son coup, lui causant une vilaine blessure et le privant de la parole, mais produisant assez de sang pour faire croire qu'il est mort.) Je ne devrais pas l'avouer, ça va faire mauvais genre, mais il y a une scène qui pourrait devenir culte dans mon cinéma personnel d'après minuit, lorsque Tahar, mourant, frotte son visage barbu contre le visage barbu de son frère* allongé à ses côtés, mais qui lui est mort. Une scène magnifique.
Puis son "sauveur" revient le chercher à la nuit, et les voilà tous les deux qui crapahutent dans le désert, rencontrent des soldats déserteurs, les suivent, et  là  Nazaret décide, après avoir appris qu'elles sont toujours vivantes, de revenir sur ses pas, pour partir à la recherche de ses deux filles jumelles, Arsinée et Lucinée... Il rejoint d'abord un camp de réfugiés. La reconstitution est tellement colossale qu'elle pourrait avoir coûté la moitié du budget du film, c'est la première scène où on se dit "là, peut-être c'est quand même un peu too much...", surtout que le plus important (l'essentiel) est un plan rapproché sur Nazaret et sa belle-soeur*. C'est là qu'il l'a retrouvée, mourante, et qu'elle lui donne un indice pour retrouver ses filles. Le jeu de piste commence, il durera des années et des milliers de kilomètres. Et de toutes ces années, ce qui gène un peu, c'est que notre Tahar joli ne change pas d'un iota -ou si peu- qu'on a quand même du mal à le croire (bon, vous me direz, huit ans, c'est pas la mort tout de même et ça fait plaisir de voir Taharchounet au naturel, plutôt qu'artificiellement vieilli).
Au cours de son voyage, il va changer de pays, rencontrer des gens, certains l'aideront (un fabricant de savons particulièrement bon, un coreligionnaire attachant -Simon Abkarian-), avec toujours cette obsession : retrouver ses filles, tout ça fait avancer le film à un rythme soutenu, alternant les visions sanglantes (réelles ou rêvées) et les scènes de violence avec des moments plus doux (la séance de cinéma, par exemple).
Un film ambitieux, donc, trop peut-être, mais qui ne mérite pas toutes ces bouches pincées criticatoires qu'il a suscitées (dans les Inrocks, Kaganski le qualifie tout de même de "baudruche académique"!) Peut-être que Fatih Akin a vu trop grand, peut-être qu'il a été parfois maladroit dans le traitement de certaines scènes, peut-être qu'il n'était pas indispensable d'aller aussi loin, mais, il y a à la base de tout ça une envie, une énergie, une sincérité indéniable(s) (qu'on connaît bien chez Fatih Akin), qui, par le traitement du film, pourrait parfois  passer pour de la candeur ; n'empêche, on ne peut qu'être touché par cette aventure humaine, impressionné  l'évocation d'un sujet rarement abordé au cinéma.

554626

* : corrections apportées suite aux remarques de Christine

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