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lieux communs (et autres fadaises)
24 février 2021

poulailler 53

"Pourquoi détestez-vous l’expression "répétitions" ?

C’est la mort du théâtre, qui consiste justement à ne jamais répéter à l’identique ce qu’on a fait la veille. Bien sûr, on l’emploie pour dire qu’il faut retravailler. Mais même lors des plus grands rituels qui semblent immuables, il y a des interstices de liberté, quand on les observe à la loupe. Le mouvement de la vie surgit. J’étais très ami avec Bertolt Brecht, j’aimais regarder comment il préparait les acteurs à refaire toujours la même chose. Mais je n’étais pas d’accord avec lui. On n’est pas sur Terre ni au théâtre pour recevoir des leçons ! Le fondement de mon théâtre, à l’inverse, a toujours été de conserver la possibilité de soulever le couvercle des habitudes qui se sont installées sur scène malgré nous. Vous connaissez mon histoire préférée ? Un jour dans le désert, un conducteur de bus s’arrête et se lève pour nous dire : "Le passé est entré dans l’histoire, le futur est une énigme. Mais le présent, en anglais comme en français, signifie un cadeau." Puis il a redémarré son bus. Depuis je n’ai jamais arrêté de penser que toute représentation, mais aussi chaque instant de la vie, devait être au présent."
(Peter Brook / Libé)

 *

j'ai passé l'essentiel de ma journée hier à terminer L'OUTSIDER, de Stephen King, avec lequel j'ai (enfin!) retrouvé l'attrait de ce qui faisait l'intérêt de mes lectures de jeune adulte de cet auteur (voici une phrase bien éléphantesque) deux points roulement de tambour : la trouille! Oui, King m'a terrifié (Shining -beaucoup plus que l'un peu surestimé film de Kubrick-, Carrie, Cujo, Bazaar, Salem, Le Fléau, Ca, je dois en oublier...) et j'adorais ça... J'en ai lu, j'en ai lu, j'en ai lu... Et puis le plaisir s'était un peu émoussé, et j'avais progressivement pris mes distances...
Et là voilà que je retrouve ce plaisir quasiment intact, qui vous fait addictivement tourner les pages, et vous fait poser le livre, parce qu'il se fait tard, et qu'on se dit qu'il vaudra mieux continuer demain, quand il fera jour... Ce bon gros pavé de 550 pages commence pourtant un peu placidement, "réalistement", comme un polar : un enfant a été assassiné d'une façon épouvantable, tous les indices accusent formellement le même homme, qui pourtant un alibi irréfutable : comment peut-on en même temps être là et pas là ? (il a été vu au même moment dans les deux endroits) Je me demandais si (et comment) l'auteur allait tenir la distance (je commençais presque à bailler et à lire un peu en diagonale quand soudain (re-roulement de tambour) se produit ce que je pensais qu'il était inéluctable qu'il se produise, au terme d'une saisissante scène d'émeute (une des  scènes fortes du bouquin, qui alignera, à intervalles réguliers,  plusieurs "moments de bravoure" pour bien faire flipper le lecteur) et que se réembraye l'intérêt, qui ne se démentira plus jusqu'à la fin... C'est à partir de là que j'ai constaté qu'était réapparu en moi ce trouble délicieux, la trouille. Le plus intéressant étant, bien sûr, l'irruption du fantastique (King est très doué pour ça) et la façon dont plusieurs des personnages (notamment un flic intègre, qui a commis une énorme boulette) seront amenés à progressivement y croire, pour parvenir à boucler la boucle...

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*

(Cet article a été initialement publié dans Libé le 22 février 1980.)

Fin des "garçonnes"…

Un visage aux lignes géométriques, presqu’austères, tout en noir et blanc, sans l’ambiguïté d’une ombre, immortalisé par cet illusionniste de Hollywood que fut le grand photographe George Hommel. Une silhouette à la Erté, libérée des corsets, des jupes longues et des accessoires pour fétichistes, qui traverse le plateau sans chalouper. Deux yeux vifs et pétillants sans ballet de faux-cils où ne filtre que la désinvolture d’une grande intelligence, telle était Louise Brooks sur pellicule placée. Unique, elle ne fut pas imitée.
L’esthétique hollywoodienne de la fin des années 20 avait mis les femmes sous (chapeau) cloche. Bouclettes, satin et paillettes, plumes de cygne et hermine étaient l’alphabet du charme féminin. Entre les vierges d’un cinéma sunday school destiné aux familles (Pickford, Gisg, Swanson) et les grandes courtisanes de l’élite cosmopolite (Nora Talmadge, Pola Negri), l’Hollywood de l’âge d’or  ne produit véritablement que deux personnages de “garçonne” (flapper en anglais) : Louise Brooks et Clara Bow. C’est que celles-ci incarnent une féminité avancée qui suscite l’irascibilité des ligues de pudeur et l’inquiétude du pouvoir mâle. Les "flappers" scandalisent.
A l’écran, elles boivent en pleine prohibition, fument, dévalent les routes en voiture, portent casquette mais point de bustiers, empruntent le vocabulaire des speakeasies, dansent le shimmy à pleines jambes écartées et traversent en flirtant la jungle des villes. Pourtant, plus que les autres types féminins, empruntés aux dime-novels (mélos) à l’opérette ou aux grands mythes continentaux, sans compter les pâtisseries orientalistes, elles sont en symbiose avec leur époque, celle du Jazz-age et des "roaring twenties" : le 6 août 1926, Gertrude Ederle traverse la Manche en 14 heures et 13 minutes, pulvérisant les records mondiaux établis par les hommes. No comment !
En 1929, à la demande des producteurs qui s’inquiètent des menaces que les légions de la pudeur font peser sur les films, un jésuite, le révérend Daniel Lord, taille ses crayons : on lui doit ce chef d’oeuvre de littérature "kitsch" : le code de Production. Les garçonnes sont liquidées. Clara Bow tient auberge à Hollywood, Louise Brooks à qui l’on ne pardonne pas son arrogance et sa lucidité quitte d’elle-même l’usine à idoles, qui pendant trente ans, fera tourner sans ralentir ses Vénus à la chaîne. Il était temps : la mode "flapper" avait fait chuter le chiffre d’affaires de la corseterie de 25%.

… ou fatalité de Loulou ?

"Et ce fut pendant la réalisation du Journal d’une fille perdue, le dernier jour du tournage pour être précise, que M. Pabst pénétra dans mon avenir. Nous étions assis tristement à une table dans le jardin d’un petit café, contemplant les machinistes qui creusaient une tombe pour une scène d’enterrement quand il se décida à me parler. Quelques semaines auparavant, à Paris, il avait rencontré mes amis, les riches Américains avec lesquels je passais toutes mes heures de liberté, et il était en colère : d’abord parce qu’il pensait qu’ils m’empêcheraient de rester en Allemagne, d’apprendre la langue et de devenir une actrice sérieuse, comme il le désirait ; ensuite parce qu’il les considérait comme des enfants gâtés qui s’amuseraient de moi un temps et me rejetteraient ensuite comme un vieux jouet.
“Votre vie ressemble exactement à celle de Loulou, dit-il, et vous finirez de la même manière.”
A cette époque, comprenant fort peu ce qu’il entendait par "Loulou", je me contentais de rester assise, le regardant avec rancune et essayant de ne pas entendre. Quinze ans plus tard, à Hollywood toutes ses prédictions menaçant de se réaliser, je réentendis ses paroles résonner derrière moi. En l’écoutant cette fois-là, je fis mes malles et rentrai chez moi au Kansas."
(Louise Brooks 1956)

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