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lieux communs (et autres fadaises)
19 mars 2021

poulailler 76

(que dire ?)

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"Il y a un an, au soir du 15 mars 2020, alors que la soirée de premier tour des municipales virait à la cacophonie tant tout le monde se foutait des résultats et voyait bien que le pire était devant nous, j’ai envoyé un mail à la rédaction de Libé.

"L’épidémie s’étend, le confinement arrive. Tout va changer dans la façon de gérer. Comme tu le sais peut-être, je me suis intéressé à ces questions de pandémie depuis des années, mon adolescence avec les romans de SF, plus récemment avec H1N1 et mon blog. Ma proposition ? Un Journal au temps du corona en première ligne, en médecine générale, en sachant que tout est possible et qu’on ne sait pas quelle forme ça prendra. Dans nos cabinets ? En réquisition avec l’armée ? En soutien à l’hosto ? En visite ou en consult dans des tentes à l’air frais ? On ne sait rien. Mais on va apprendre et faire jour après jour. J’ai les connaissances médicales, la culture littéraire, les infos médicales sur les réseaux sociaux et sur mon réseau perso (réanimateurs, urgentistes, généralistes, régulateurs Samu, membres de la team de gestion de crise), pour faire ça. Ainsi que les compétences pour donner des infos simples et compréhensibles sur les questions médicales, Ains [Anti-inflammatoire non stéroïdien, ndlr] ou pas, chloroquine, etc. C’est ma proposition, parce que j’ai adoré bosser avec vous. Si ça vous dit, tu me dis le nombre de signes au quotidien, on en discute. Dis-moi vite, la “guerre”, c’est demain."

Je relis ce mail et je me souviens que nous ne savions rien de ce que serait demain. Des confrères avaient peur de mourir. Ils n’avaient pas tort. Ce fut le sort de certains de mes amis. D’autres imaginaient que nous serions abandonnés complètement, que le chaos régnerait si les morts s’accumulaient, si on nous demandait, en ville, de prendre en charge sans moyens des patients ingérables parce que l’hôpital était submergé.

Galaxie de gens perdus

Nous ne savions pas que le confinement casserait la dynamique de l’épidémie et aplatirait la courbe des contaminations. Nous ne savions pas non plus, comment aurions-nous pu l’imaginer, que de l’angoisse et de la frustration de l’isolement naîtraient les germes du complotisme, une galaxie de gens perdus et d’escrocs incompétents dont ce serait l’heure de gloire, qui enchaînerait vidéos débiles et appels à la haine sur les réseaux. Nous ne savions pas que le narcissisme exacerbé d’un seul homme pourrait coûter tant de temps perdu à la communauté scientifique. Nous ne savions pas que Donald Trump laisserait mourir 400 000 de ses concitoyens et serait applaudi pour cette démonstration de masculinisme exacerbé. Nous ne savions pas que notre propre gouvernement enchaînerait les artifices et les offuscations pour couvrir son mensonge originel sur les masques.

Nous ne savions pas que «Monsieur déconfinement», qui n’avait rien préparé du déconfinement, deviendrait le fusible du Président. Nous ne savions pas que ce dernier, dont l’intelligence céderait comme souvent à l’hubris, tenterait de se réinventer en protecteur d’un pacte social qu’il avait passé trois ans à mettre à mal, puis en épidémiologiste décryptant le Lancet et le New England Journal of Medecine mieux que le Conseil scientifique sur lequel, dès le début, il avait essuyé ses escarpins pour maintenir un premier tour des municipales d’une criminelle incohérence. Nous ne savions pas que personne au gouvernement ne prendrait le temps d’expliquer clairement le risque de contamination par aérosol, parce que cela aurait trop crûment mis à terre les protocoles inopérants mis en place.

Pari insensé

Nous ne savions pas que l’été serait doux, et bon, et une simple parenthèse. Nous ne savions pas que des guignols passeraient à la télévision en boucle juste pour dire ce que chacun voulait entendre, que c’était fini, qu’il ne se passait rien à Barcelone ou à Namur, qu’il n’y aurait jamais de seconde vague. Nous ne savions pas qu’un ministre de l’Education nationale trouverait à s’appuyer sur des sociétés savantes infoutues de lire des données scientifiques internationales, pour envoyer élèves et enseignants dans une étuve virale sans leur donner les moyens de se protéger. Nous ne savions pas que les vaccins arriveraient aussi vite, ni que nous vaccinerions aussi lentement. Nous ne savions pas ce que la pandémie, et le confinement, et les restrictions nous coûteraient, en vies, en souffrances, en dépressions, en faillites, en renoncements, en distance entre nous. Nous ne savions pas qu’il était possible, dans un pays civilisé, de se satisfaire de 400 morts et 30 000 contaminations par jour pour ne pas perdre un pari insensé.

Je ne sais pas ce que nous aurions fait si nous avions su ce qui nous attendait. Si nous avions su que ce serait si long, si terriblement long. Ce monde du sans-contact, ce monde dans lequel nous ne rêvons même plus de s’asseoir à une terrasse pour boire une bière avec des amis.

Et moi, je ne savais pas, quand la réponse est tombée trois heures plus tard – "Ok, on tente le coup. Tu nous envoies quelque chose comme deux feuillets (3 000 signes) demain ?" –, que nous y serions encore aujourd’hui."
(Christian Lehmann / Journal d'épidémie)

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"Il y a un an, on s’était promis d’aller acheter un four. Pour remplacer le souvenir tenace de l’ancien tellement cabossé par le temps qu’il nous aurait sans doute valu la correctionnelle si on avait été restaurateur. Pensez donc, on avait trouvé l’engin à côté d’une poubelle il y a une vingtaine d’années. Genre modèle de célibataire endurci, d’étudiant attardé qui avait dû le lourder sur le trottoir à force d’enfourner les reproches sur son état délabré. On avait récupéré ce tarare plus par pitié que par envie mais aussi un peu comme un défi pour le remettre en état. Mais en fait, la bête avait le cuir épais puisque au premier tour de thermostat, il se mit en chauffe. Un petit bonheur vite assombri par la méchante claque de ses mauvaises odeurs.

Paille de fer

C’est que notre four était plus craspouille que le carburateur d’un T-55 soviétique égaré en Tchétchénie. Il lui fallait un ramonage. Et du sévère. A la poudre à récurer et à la paille de fer à s’en éclater la pulpe des doigts pour en faire un sou presque neuf. C’est qu’on ne plaisante pas avec l’électroménager tricolore. Remis en état, l’intéressé reprit vaillamment du service pour les quiches, tartes aux pommes et autres poulets grillés. Non sans quelques caprices quand il faisait de la résistance au préchauffage mais une petite tape sur son carter le remettait vite d’équerre.

Souvent, les objets sont comme les êtres aimé(e)s : ils se carapatent sans crier gare. On croyait que notre four en avait pris pour perpète dans notre cuisine mouchoir de poche. Mais il nous fit le coup de la panne éternelle un matin où on lui demandait de faire briller nos œufs au plat en position gril. Sur le coup, cela nous sembla trop anodin pour être vrai. Et pourtant, en dépit de maints coups de manivelles, la bête ne repartit jamais. Ce qui provoqua en nous une profonde sidération.

Canard sans tête

On finit par se résigner à le remplacer le week-end précédant le confinement de mars 2020. Mais comme on est du genre chaland indécis, on tourna en rond comme un canard décapité dans les rayons du Darty du coin. Ce n’est pas qu’on ait des oursins dans les poches mais un four, c’est du sérieux à l’achat. Et donc, on revint bredouille dans la kitchenette perchée quand la première réclusion pour cause de Covid s’abattit sur nous comme la vérole sur le bas clergé.

Il ne s’agit pas de fanfaronner mais ce satané virus n’a pas provoqué de panique dans notre cambuse. Tout juste avons-nous acheté quelques paquets de pâtes, riz et autres légumes secs, un sac d’oignons et de patates pour des mijotages domestiques. Ce temps de guingois, cette béance dissonante que nous subissons depuis un an n’a pas bouleversé non plus nos menus et notre cahier de recettes chiffonné. Il s’est toujours trouvé un primeur, un boucher, un épicier sur notre route incertaine pour nous ravitailler dans l’étroite fenêtre de tir de la sortie petit bol d’air camouflée en "achats essentiels"."
(Jacky Durand / Bouffons la vie)

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