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lieux communs (et autres fadaises)
10 mars 2022

deux films avec un magnétophone à K7

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VOUS NE DÉSIREZ QUE MOI
de Claire Simon

C'est toujours un grand plaisir de retrouver Claire Simon, à chaque nouveau film (récemment il y a eu LE FILS DE L'EPICIERE, LE MAIRE, LE VILLAGE ET LE MONDE, en septembre 2021, en salle, et, auparavant, j'avais pu voir GARAGE, DES MOTEURS ET DES HOMMES, en juillet 2021 sur France 3 -et ensuite en streaming sur France.tv-, ce qui fait un rythme de travail assez soutenu, celui-ci, VOUS NE DÉSIREZ QUE MOI, est daté de 2020, tandis qu'un prochain, LE CORPS DES FEMMES, est d'ores et déjà annoncé...
Ce projet est un peu à part puisqu'il met en scène des acteurs "connus" (Emmanuelle Devos et Swann Arlaud) au service d'un texte "réel", préexistant, un peu comme dans Claire Simon l'avait fait dans le magnifique LES BUREAUX DE DIEU (2008) où elle avait utilisé des vrais textes d'entretiens pour les faire rejouer par des (magnifiques) actrices, dans cette touchante évocation d'un Centre du Planning Familial.
Ici, le texte pré-existant est une retranscription de cassettes audio, enregistrées en 1982 par Michèle Manceaux, journaliste et romancière, qui était allée interviewer, à sa demande, Yann Andréa, le jeune amant de Marguerite Duras, car celui-ci souhaitait, justement, évoquer Marguerite et la relation qu'il avait avec elle. Tout ça dans une pièce de leur maison de Neauphle-le-Château,  tandis qu'à l'étage inférieur, Guiguitte (je me permets de l'appeler ainsi, amicalement, bien que n'ayant jamais été un inconditionnel de la dame, ni dans ses livres, ni dans ses films, mais étant, par elle, tout de même fasciné) s'agite, s'agite (et lui craint d'ailleurs qu'elle ne finisse par monter) et manifeste sa présence.
Deux cassettes seront ainsi enregistrées, lors de deux entretiens consécutifs (un par jour). C'est le texte intégral de ce qu'a dit Yann Andréa qui sera joué scrupuleusement par un Swann Arlaud très impressionnant dans son incarnation, face à une Emmanuelle Devos / Michèle Manceaux impériale (comme à son habitude).
Claire Simon a filmé leur échange avec beaucoup d'intelligence et de finesse (et toute la sensibilité qu'on lui connaît) en de longs et patients (et périlleux) plans-séquences. La réalisatrice reste très près des deux comédiens, attentive, à l'affût. Proximité fait loi.
Deux k7 donc, avec un entre-deux, comme une respiration, qui (ne) suivra (que) la journaliste, dans un morceau de sa vie extérieure à la maison de Neauphle, une soirée paisible, une cheminée, un whisky, et le beau visage songeur d'Emmanuelle Devos.
La gageure était comment figurer la présence de Marguerite, comment la re-présenter ? (comme aurait dit quelqu'un que je connais "elle ne pourra pas venir car elle est morte..."), et Claire Simon relève le défi honnêtement (il me semble qu'elle utilise juste une fois la figuration, de façon très fugitive et floue, derrière une fenêtre, une silhouette, un pull beigeasse, de trois-quarts dos, lorsque Michelle M. quitte la maison le premier soir, mais n'en suis-je même pas très sûr), en insérant des extraits durassiens (je devrais écrire durassiennissimes), de films (India Song et sa fameuse Anne-Marie Stretter, et la blanche voix-off qui l'évoque /qui l'invoque) mais aussi de vraies vidéos d'époque montrant Duras herself (interviews, et même une scène de tournage de L'homme atlantique je crois, où elle malmène (c'est vraiment le mot) Yann Andréa, justement.)
Car leur relation est quand même assez hors-norme : hormis la différence d'âge (comme dirait le même quelqu'un que je connais : "Je suis atypique! ma femme est beaucoup plus vieille que moi!"), il sera aussi question de l'intensité de la passion qui les unit, mais tout autant de l'inexorable mainmise qu'exerce Marguerite D. sur son jeune amant (comme a dit Fanny en sortant : "Aujourd'hui on l'aurait qualifiée de perverse narcissique...") homosexuel à qui elle interdit tout de même de l'être!.( sans doute est-ce ce que Guigitte nomme La maladie de la mort...)
Interviennent aussi, en tant qu'inserts (autant poses que pauses) un certain nombre d'aquarelles érotiques, splendides, signées Judith Fraggi, évoquant réalistement, en contrepoint, les rapports -physiques- des deux amants. (c'est vrai que j'avais beaucoup de mal à imaginer M.D en train de faire l'amour...)
Et le spectateur moyen (moi, donc) de se laisser porter par la délicatesse (et la fragilité) de cette reconstitution, de l'attention portée aux moindres détails (le reflet des mains dans la fenêtre, les cris d'oiseaux dans la bande-son en amorce annonciatrice de ceux d'India Song), de ces quatre-ving quinze minutes à la fois décomptées et suspendues...
Un sublime (forcément sublime) objet de cinéma, qui ne peut pas laisser indifférent, en témoignent ces deux critiques aux antipodes :

"Grâce à l’intensité de jeu d’Arlaud et Devos, ce film étrange réussit à pousser les meubles du portrait d’écrivain pour faire place à une parole rare et peut-être scandaleuse : l’intelligence de l’homme détruit et, inextricablement, construit par cet amour." (les Cahiaîs)

"Les banalités s'enchaînent sur un ton assez docte. Swann Arlaud s'en tire comme il peut. Emmanuelle Devos ne fait rien. Duras, elle, reste au rez-de-chaussée. Elle a bien raison." (le Figaraud)

 

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MEMORY BOX
de Joana Hadjithomas & Khalil Joreige

Après le magnéto à cassettes de Michèle Manceaux, voici celui de Maïa, (on change de lieu mais pas forcément d'époque, enfin si mais pas tout le temps, vous comprendriez mieux si vous l'aviez vu...), la mère d'Alex, installée avec elle au Canada (elle a quitté le Liban) et qui reçoit, la veille de Noël un très gros carton en provenance de Beyrouth et de son passé, contenant ses journaux d'adolescente et les photos les lettres et les cassettes qu'elle envoyait à sa meilleure amie, lorsque celle-ci s'était expatriée, une trentaine d'années auparavant... Maïa refuse dans un premier temps d'affronter ce passé (son passé) mais c'est sa fille qui s'y plonge alors, en cachette, découvrant quelle adolescente a bien pu être sa mère, qui a toujours refusé de lui parler de son passé...
C'est le principe de l'omelette norvégienne, de faire coexister un Canada d'aujourd'hui, particulièrement hivernal et enneigé, avec la chaleur et le soleil et l'énergie d'un Liban d'hier (d'un Liban adolescent), et celà produit le même revigorant et plaisant choc thermique (et émotif).
Le film est enthousiasmant, dans cette façon de nous replonger, via les yeux d'une adolescente contemporaine, dans ce que fut l'adolescence de sa propre mère, et surtout de nous faire revivre, "de l'intérieur", cette guerre imbécile et fratricide (comme le sont toutes les guerres), cette guerre civile (merci wikipedia) qui ravagea le pays entre 1975 et 1990.
D'autant plus que les cahiers en question sont ceux de la réalisatrice, Joana Hadjitomas, et cette histoire donc, sa propre histoire...
Le film commence dans la neige et finira en plein soleil, dans une scène magnifiquement émouvante (oui, j'ai versé une larmichette) où, à n années de distance, les mêmes personnages dansent -avec la même joie- sur One way or another de Blondie (j'avoue que, contrairement à beaucoup d'autres morceaux de la B.O, j'ai dû shazamer en douce pendant le film pour savoir de qui et de quoi donc il s'agissait).
A propos de B.O, tout au long du film, j'avais les oreilles et le coeur qui frétillaient, à reconnaître, souvent dès les premières notes, des morceaux -souvent des tubes- que moi-même j'avais beaucoup écoutés (et aimés) pendant la même période, celle de mon adolescence (en tout cas ma prime jeunesse). Je prenais plaisir à en donner les titres à Catherine chaque fois que je le pouvais...
On aime ici beaucoup le travail de Hadjithomas / Jaureige (on a déjà programmé leur splendide  et étonnant Lebanese Rocket Society, (2013) mais celui-ci est encore plus fort, par la richesse, la multiplicité, (le foisonnement), des technique utilisées (en fait, tous les registres de l'image) et le travail titanesque qui a été accompli (car contrairement à ce que j'ai dit plus haut, et de façon plutôt écervelée, et avant qu'Hervé ne me gourmande, le film n'est que "basé sur" les cahiers de Joana Hadjitomas, et ceux (j'avsis quand même eu un léger doute) que l'on voit dans le film ne sont pas les siens, et il a donc fallu en fabriquer de nouveaux, en utilisant les photos des actrices et des acteurs...), ce qui rend le film encore plus admirable.
Un film formidable, bardé d'émotion, d'énergie, d'espoir, bref, tout à fait ce dont on a besoin en ces temps troublés mortifères et poutinassiers...
Allez vous faire du bien, courez-y!

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"Dans le film circulent les époques, les générations mais aussi les technologies,le passage du temps s’éprouvant autant dans le récit, dans ce que vivent les personnages d’une époque à l’autre, que dans la matière même du film. Ce jeu libre avec les régimes d’images et de sons est-il le coeur de tout votre travail, y compris dans ce film qui semble tout récapituler ?

JH - Nous n’aimons ni frontières ni définitions. On aspire à une grande liberté, la possibilité de pouvoir se mouvoir en faisant des films de cinéma,des documentaires, des vidéos d’art, des installations photographiques, des performances, des sculptures… Cela dépend vraiment de notre intérêt, notre inspiration, notre recherche… Dans Memory box, on a cherché à transformer nos recherches artistiques et formelles en quelque chose de cinématographique et d’accessible, quelque chose de jouissif pour le spectateur." (dossier de presse du film, passionnant, consultable , chez leur distributeur, Haut et court)

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