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lieux communs (et autres fadaises)
21 avril 2023

niveau suivant

(Le Libé des écrivains)

Education nationale : un petit train de mesures en route vers rien
par Laurent Binet

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Quelque peu déséquilibré par la réforme des retraites, le chef de l’Etat peut continuer son travail de sape des institutions, en s’attaquant désormais à ce qu’il reste de l’enseignement public.
par Laurent Binet

A l’occasion du Festival du livre de Paris, les journalistes de Libération cèdent la place à des auteurs et autrices pour écrire sur l’actualité. Pour cette 16e édition du Libé des écrivains depuis 1987, ils sont 50, avec Giuliano da Empoli, auteur du Mage du Kremlin (Gallimard), en tant que rédacteur en chef. Retrouvez tous les articles de cette édition dans notre dossier spécial.

Macron vit sa présidence comme un jeu vidéo : il a une quête à accomplir (l’uberisation ou la thatchérisation de la France, pour aller vite), et des niveaux à franchir. Le niveau «réforme des retraites» a été difficile, il y a perdu beaucoup de points de vie, mais il l’a finalement passé, avec un certain sang-froid, en s’appuyant sur un triple calcul. Un, la Ve République lui offre tous les outils nécessaires pour agir sans entrave institutionnelle. Deux, la stratégie pusillanime des syndicats s’entêtant à espacer les journées de mobilisation lui permet de tenir, puisqu’elle lui permet d’échapper au blocage du pays. Trois, la complicité des LR, dont il sait qu’ils ne censureront jamais un gouvernement appliquant la politique libérale dont ils ont toujours rêvé, lui assure en dernier recours une majorité absolue à l’Assemblée. Restent les affaires courantes : les manifs. Et son seul pari, au fond, se résume à ce vieil adage : l’intendance suivra. (Avec toutefois, cette petite variante : l’intendance, dans la France Macron, se résume à la police. LBD contre casseroles : pour l’instant, ça se gère.)

Le niveau suivant devrait poser moins de problèmes : achever la destruction d’un édifice déjà en ruine, l’éducation nationale. Blanquer y aura en temps et en heure apporté sa contribution spectaculaire avec la réforme des lycées et Parcoursup, qui auront eu le double mérite d’être à la fois des usines à gaz anxiogènes et des entreprises de désorganisation et démoralisation générale. (Le bac en mars, quelle idée de génie !) Dès lors, mis à part continuer les fermetures de classe à bas bruit, que reste-t-il à faire ? Rien, ou presque. Ce pour quoi Macron et ses crypto-chicago boys excellent : faire semblant. Alors allons-y pour les annonces habituelles. Au son des casseroles, demandez le programme. Que se passe-t-il dans la tête du pauvre Pap Ndiaye, obligé de faire la potiche pendant que Macron nous balance son petit train de mesures ?

Ce qu’ils racontent n’a aucune importance, parce que leur parole n’a aucune valeur

Les mesures, donc. Pour commencer, la grande absente : pas de hausse du point d’indice (gelé depuis la préhistoire mis à part un léger déblocage l’an dernier). Avec une inflation pour l’année en cours de bientôt 6 % et une perte de salaire du corps enseignant de 28 % entre 1982 et 2018, dont acte. Le reste : un, augmentation de tous les profs de 100 à 230€ nets, avec salaire plancher à 2 076€. On attend sans impatience le debunkage du type de celui qui a été effectué pour les mythiques retraites planchers à 1 200€. Oui bon, peut-être pas tous les profs. Mais une grosse majorité. Beaucoup. Enfin quelques-uns. Une poignée. Douze. (Rappelons que pour la retraite à 1 200€, on était passé de plusieurs millions de bénéficiaires supposés à 30 000.) Deux, prime d’attractivité de 100 à 150€ pour les jeunes profs et prime d’indemnité de suivi de 100€ pour tous les profs. Après tout, 100 balles et un mars, la recette avait fini par calmer les gilets jaunes. Et le meilleur pour la fin : Trois, l’inévitable pacte. Travailler plus pour gagner plus : des forfaits de 18 à 24 heures annuelles pour remplacer des collègues absents au débotté ou autres tâches diverses. («En Allemagne, ils passent le balai dans leurs classes, on vous dit !») Pour une rémunération de 1 250€ par 24 heures (défiscalisées naturellement), c’est-à-dire moins bien payées que le sont actuellement les heures supplémentaires ordinaires (dites HSA).

En politique, il ne faut pas réfléchir en termes de personnalité mais en termes de structure. Macron est une structure néolibérale : capable de lâcher des milliards en cas de crise sanitaire mondiale quand il s’agit d’éviter l’effondrement brutal de toute la société, mais augmenter les salaires de fonctionnaires ? Plutôt crever. Il n’y a aucune raison pour que ça change et d’ailleurs, si les éditorialistes faisaient preuve d’un peu moins de naïveté ou de complaisance, ils sauraient décoder : quand le gouvernement souhaite nous éblouir de sa libéralité (que dis-je ? de sa munificence !) il parlera toujours de rémunérations, jamais de salaires. Des primes, des «indemnités de suivi», des heures supplémentaires (défiscalisées) qui permettent d’éviter des recrutements ou des créations de postes, oui. Des vacataires, des contractuels, autant qu’on veut. Mais des CDI, surtout pas, alors des fonctionnaires… Ce que racontent Macron et son ministre à Ganges n’a aucune importance, parce que leur parole n’a évidemment aucune valeur. On peut sans trop prendre de risque deviner ce à quoi aspire la structure néolibérale (ce qu’elle fantasme mais qu’elle prépare aussi déjà, sans doute) : le prof auto-entrepreneur (ce statut de l’enfer inventé par Sarkozy). Effondrement des candidats au concours, profs recrutés par job dating et formés en trois jours… Voilà les sujets qui mériteraient d’être débattus, commentés et critiqués sur les chaînes d’info continue. Mais pendant ce temps, sur BFM, on couvre le déplacement du président au collège Louise-Michel de Ganges : «Il est en train de signer un maillot de l’OM. Le président est fan de l’Olympique de Marseille. — C’est bien de le préciser aussi !» (Véridique.)

 

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