roseaux
LA PEAU DE BAX
de Alex van Warmerdam
J'aime les cinéastes singuliers. En voici un, sans conteste (Les habitants, La robe..., Borgen). J'aime aussi les roseaux (et les roselières), ça tombe bien, en voici ici, et à foison.
Allez savoir pour quoi, le film est apparu sur le ouaibe avant que de parvenir jusqu'à nos arrière-salles reculées de province, et, ne m'en privant pas je l'ai donc ainsi regardé hier soir.
Le titre original (Schneider vs Bax) rendait plus justement compte du film. Deux hommes, donc, ici Schneider et là Bax, chacun armé, et décidé à tuer l'autre. On apprend assez vite qu'ils sont tous les deux tueurs à gages, et que leur exécution a été commanditée, assez étrangement, par la même personne, qui les tient informés chacun des agissements de l'autre. Sans, au départ, qu'ils le sachent.
Bax (joué par le réalisateur lui-même) habite dans une petite maison blanche (très théâtrale) en plein milieu des roseaux. Schneider lui est un gentil père de famille dans le civil (on assiste à son réveil en famille) visiblement très organisé dans son métier caché (hangar, placard avec étàgère à double fond pour cacher le fusil, boîte à outils à double-fond pour cacher les déguisements, c'est ici aussi très théatral).
Si les choses étaient simples, Schneider n'aurait qu'à aller chez Bax et pan pan! il pourrait être revenu pour aider sa femme à préparer le repas. Mais nous sommes chez Van Warmerdam (et comme dans un théâtre aussi ne l'oublions pas) et vont se présenter, les uns après les autres, des personnages inattendus et/ou perturbateurs : un garde de réserve naturelle pour Schneider, puis une pute, puis son méchant mac, tandis que, du côté de Bax, vont entrer et sortir sa maîtresse, agacée, puis sa fille, dépressive et colérique, puis son père et sa nouvelle jeune copine, puis à nouveau sa copine, mais de retour avec un copain à elle, etc.
Ces apparitions inopinées viennent perturber de plus en plus la situation, qui n'est déjà pas simple au départ. Le film devient une série de variations sur la notion de point de vue (ou d'angle de tir ?), la maison de Bax étant accessible des quatre côtés, et la caméra ne se privant d'en d'en profiter et de presque nous donner le tournis (de quel côté il est ? de quel côté il regarde ? de quel côté l'autre va arriver ?)
C'est noir, c'est drôle, c'est... humide aussi, c'est énergique, et c'est, surtout, superbement filmé. (Bon d'accord, les roseaux, c'est cinégénique au départ, mais Van Warmerdam chiade ses (re)cadrages, son montage, ses mouvements d'appareil, ses lumières...) C'est réalisé "au cordeau" (pourraient écrire certains) autant que c'est "jubilatoire" (pourraient écrire d'autres, voire les mêmes que les susdits certains).
Chacun des personnages apporte à son tour sa dose d'étrangeté (on est bien chez le réalisateur des Habitants, tout de même) et son petit numéro (comme au billard, tiens) vient tchack! perturber la configuration et envoyer ses congénères valdinguer, rebondir, se replacer, et finir dans le trou ou pas. C'est ludique mais c'est drôle et c'est noir (drôlement noir ?) alors que pourtant tous gardent leur air pincé (pas l'ombre d'un sourire, jamais), voire même impassible, dans des situations qui pourtant seraient supposées titiller leur expressivité.
On peut d'autant plus, néanmoins, juste un peu regretter la petite déception ressentie à la fin (et se dire que le réalisateur a été partial, en choisissant le parti de l'un plutôt que de l'autre). Ca manque de quelque chose, (ou on fait exprès manquer quelque chose, on nous exclut, comme si on refermait d'un coup sec le couvercle sur la composition gastronomique (ou, au choix, le brouet inquiétant) en train d'y mijoter et qu'on nous privait de sa dégustation...
Oui, on resterait comme un peu sur sa faim.