Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
lieux communs (et autres fadaises)
14 novembre 2006

noir clair ou noir noir ?

LES LUMIERES DU FAUBOURG
d'Aki Kaurismaki

La vengeance est  un plat qui se mange froid, le cinéma finlandais aussi. C'est toujours pareil : avec Kaurismaki, je me régale. Même si, d'un film à l'autre, je ne me souviens des fois plus trop du précédent très en détail, le fait est, depuis La fille aux allumettes (un sommet quasi inégalable, à mon avis) , je n'en rate pas un.
J'aime ce cinoche à l'économie, pas prolixe, pas pyrotechnique, pas frimeur, pas bavard, pas cérébral, pas bruyamment lacrymogène, pas bons sentiments bonnes manières et eau plate. Ici c'est plutôt commissures tombantes (il y a -tout de même- un unique sourire dans le film, même si la cause, ou le destinataire, en restent hors-champ), cheveux gras et/ou gominés (coiffure typique dite "à la finlandaise") je fume (tellement que tous les spectateurs doivent sentir le tabac froid en sortant de la salle) et je bois (idem) je m'emmerde (re idem), bref tristesse à tous les étages (même les riches, si si, mais eux ils s'en foutent ils sont riches) et voilà.

Un plan : une caméra, un axe, un point de vue. Point. J'aime cette sècheresse-là. Genre je dis ce que j'ai à dire et pourquoi je rajouterais un adjectif ou un adverbe si ce n'est pas indispensable pour que tu me comprennes ? Une histoire simplissime : un veilleur de nuit rencontre une garce qui va causer sa perte. Boy meets girl in Helsinki. Une trame de film noir sans le pathos, sans les effets, sans les armes, sans les poursuites en bagnoles, sans les règlements de comptes, presque sans les flics. Dégraissée jusqu'au squelette donc. Comme le hareng-saur de Charles Cros, sec sec sec. Mais du coup d'autant plus efficace. Dépouillé, quoi, le film. (tant au sens bressonnien qu'au sens pickpocket, d'ailleurs)

On se demande d'ailleurs s'il ne le fait pas exprès, notre Akichounet, d'en remettre une louche, et une autre encore,  dans le malheur poisseux, la loose qui pue, le black is black il n'y a plus d'espoir. Comme si sa marque de fabrique, sa signature, son empreinte digitale, (son nez rouge de clown à lui,) sa franchise, donc, il devait absolument la rentabiliser. Là, tout est si négatif, si sombre, si sans-espoir qu'on se trouve -le spectateur- propulsé dans une sorte de bobsleigh du malheur, un tunnel aux parois lisses et verglacées, où l'on ne peut se raccrocher à rien, qu'à la perspective de la chute inévitable tout au bout. Sauf qu'ici ce n'est pas la vitesse qui grise le spectateur et le scotche sur son siège, l'empêchant de réagir, c'est plutôt le statisme, le mutisme, la force d'inertie face au destin et, me semble-t-il, l'ironie subtile kaurismakienne, faisant porter aux acteurs de cette triste épopée une sorte de masque figé, impavide, comme aux membres du choeur d'une tragédie grecque, sauf qu'ici tout le monde est mis dans le même sac. Au bout d'un moment on a envie de rigoler en se disant qu'est-ce qu'il va encore se prendre sur le coin de la tronche ?

Koistinen (c'est le nom du vigile, on n'en saura pas davantage sur son identité) qui fait sa ronde, Koistinen qui boit sa vodka, Koistinen qui repasse sa veste dans son petit appart, Koistinen qui fume, Koistinen et sa dulcinée, Koistinen et la fille qui vend des saucisses... autant de vignettes consécutives et brèves, images  d'un jeu de l'oie où les cases récurrentes seraient celles des catastrophes, inéluctables, où l'on saute gaiement et sans états d'âme de l'une à l'autre, un genre de marelle-cata ou d'escalier du malheur : le taf merdique, la solitude, la tromperie amoureuse, l'abandon, l'accusation, la prison, le passage à tabac ; un monopoly de la misère où on ne passerait jamais par la case départ, et où on ne recevrait jamais 20000f (euh... ça fait combien en euros ? est-ce qu'ils ont réactualisé ? à ce propos, ça fait drôle dans le film d'entendre "deux (en finlandais) euros" quand la demoiselle demande un café, raccrochant ainsi soudain à notre quotidien ce qui en semblait au départ plutôt éloigné et exotique... Façon de dire "attention petits français, tout ça pourrait bien aussi vous arriver...") . Le jeu du (dés)amour et (pas vraiment) du hasard.

Et voilà qu'il a la malice de placer in extremis (c'est vraiment à la toute fin du film, on n'y croit déjà plus) un plan, banal somme toute dans n'importe quel autre film, une minusculissime étincelle d'espoir, mais qui prend ici, vu la dégringolade non stop et toutes les catastrophes et avanies diverses qui ont précédé, quasiment figure de happy end. You know what ? I'm happy!
Merci qui ? Merci Aki!

18629494

Commentaires
Archives
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 384 936