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lieux communs (et autres fadaises)
27 janvier 2008

tas de sable

LE ROI LEAR
de William Shakespeare
Mis en scène par Laurent Fréchuret

"Il faut être fou pour se fier à la docilité d'un loup, à la santé d'un cheval, à l'amour d'un garçon, ou au serment d'une putain !" (Acte III, scène 6)

"Tais-toi pot de chambre ! Tronche de rat, grumier, pignouf, poussière de chef, pingouin, patate, pinfre, animalcule, rognon, aïoli, lémurien, pruneau farci, tarte du saint esprit, girouette, voilà ce que tu es, une girouette empalée..." (Acte II, scène 2)

"Le seul malheur à craindre, c'est la fin du bonheur." (Acte IV, scène 1)

Rien à voir ou presque avec ce qui suit, mais j'avais envie de les mettre là, ces phrases de Williamchounet. (j'ai tout de même acheté le texte en sortant...) DONC, je pleure très souvent au cinéma, mais par contre très rarement, voire quasi jamais, au théâtre. Et pourtant c'est arrivé, devant cette pièce-là. Je l'avoue, à cinquante balais passés, je le connaissais bien un peu de nom, ce roi Lear-là, mais pas plus. Je déteste lire le théâtre, et je n'avais jamais eu l'occasion de voir la pièce... Là, bien obligé, puisque j'ai pris un abonnement, gloutonnement,  pour la saison entière, avec donc des hauts et des bas (la dernière "pièce" par exemple, nommée Tryptique, fut une cruelle et brutale déconvenue... Autrement dit, quelle merde ! ) Là, je partais, l'esprit quasiment vierge, avec juste cette précision de mon amie Christine concernant la QV* (je devrais même dire la QALV**) qui lui avait fait me recommander de "ne pas me mettre trop loin" (je suis un peu maniaque : je sais qu'ils ouvrent les portes une demi-heure avant, donc j'arrive une demi-heure avant.)

Je ne vais pas vous raconter toute l'histoire, ça serait bien long, sachez juste que c'est très shakespearien : il y a un roi (Lear, donc) qui décide de partager son royaume entre deux de ses trois filles suite à la question "Qui-c'est-y qui m'aime le plus, hein ?" et déshérite la troisième, Cordélia,  parce qu'elle a répondu sincèrement. Les deux premières filles vont s'avérer être de fieffées salopes, et ingrates de surcroît. Il y a aussi Gloucester, un ami du roi, flanqué d'un fils légitime (Edgar) et d'un bâtard (Edmond), et qui va déshériter son bon fils (Edgar) suite aux manigances affreuses du bâtard. et il ya enfin Kent, un noble que Lear chasse parce qu'il a pris le parti de Cordelia, mais qui revient déguisé pour continuer à aider le roi, qui perd un peu les pédales suite aux exactions de ses deux filles susnommées pas si chéries que ça. Il va y avoir de rudes empoignades, des complots, des trahisons, un nombre impressionnant de missives rédigées et distribuées (ou non). Et puis des travestissements divers (Kent, puis Edgar en "pauvre Tom" (c'est lui qui passe un bon moment avec le kiki - qu'il a par ailleurs extrêmement jovial -à l'air), et même Lear, très bucolique...) Et de la violence, verbale (des menaces aux injures, des ricanements aux malédictions), physique (du sang coulera, et  à plusieurs reprises) et même météorologiques (une homérique scène d'orage nocturne...) Jusqu'à une fin toute shakespearienne : beaucoup mourront, de mort violente ou pas, les méchants succomberont, le gentil triomphera (mais hélas la gentille elle ne passera pas l'hiver...)
Trois heures de spectacle, avec des comédiens qui se donnent à fond, où, sur une nouvelle traduction de Dorothée Zumstein, on déguste les mots de William S. Et ça y va, je vous garantis. On passe du trivial au sublime, de la galipette à l'affliction,  de la rigueur à l'exhubérance, de la bluette à la tragédie, comme ça, et ce, jusqu'au bout, sans aucune faiblesse.

La scénographie est exemplaire et minimale : plateau nu. Rien, ou presque (juste trois châteaux de sable) à l'arrivée en scène des comédiens, qui surgissent tous d'un coup comme ça, à vue, woof!, en costumes chamarrés, soudain posés sur scène, face public, immobiles, tout en regards, comme pions d'un jeu d'échec. Mais je ne vous raconte pas l'état dans lequel sera le susdit plateau à l'entracte ! Et quelques mouvements de penderillons. C'est par la lumière - virtuose- que se font les changements de scène, les transitions, impeccables toujours (je dirais "au rasoir"). Entrées, sorties, images fixes, fondus au noir, apparitions, disparitions, substitutions, éclairs, ombres. Fumées aussi. En plus du plateau, les comédiens occupent aussi le premier rang des sièges de la salle, assistant ainsi, de temps en temps, aux aléas de leur propre histoire.

J'ai pleuré, donc, et ce, à plusieurs reprises (une scène sublime et parfaitement silencieuse - personne alors dans la salle n'osait plus respirer - de la mort d'un père dans les bras de son fils, mais aussi, par exemple, plus tard, d'une scène de bataille, simplement figurée par les acteurs tournant en rond sur le plateau... ) mais j'ai pas mal ri aussi (bon, à la fin, tout de même pas trop, c'est quand même plutôt noir !), en tout cas, j'ai été, comme tous les autres spectateurs visiblement (il y avait beaucoup de monde ! plein les escaliers, même !) constamment fasciné, subjugué, émerveillé, par tant de simplicité et donc par tant de force. La mise en scène est admirable (je vous répète que je suis rarement sorti d'une pièce chamboulé à ce point...), et la direction d'acteurs se situe à la même hauteur, au même niveau d'exigence. Et la musique aussi ! (utilisée pourtant assez parcimonieusement). Et les costumes donc ! (le parti-pris de mêler et d'alterner vêtements "classicos shakespearian"  et costumes "normaux" ou "contemporains" (il faut voir, dès le début Kent passer du pourpoint au treillis + doudoune flashy) pouvait sembler a priori risqué, mais, comme tout le reste,  ça fonctionne à merveille.

La distribution est chatoyante, somptueuse, extrêmement homogène, comme un manteau royal déployé autour de la royale présence de Dominique Pinon, très touchant en monarque tour à tour  humain, idiot, violent, injuste, pathétique. les acteurs, il faudrait tous les nommer. Avec le plaisir des mots chevillé au corps (ou le contraire, ou, mieux encore, les deux en même temps.) Tous les treize. Ils sont donc tous . (Vous avez la distribution, les lieux et dates, la bande-annonce...) J'aime Kent, j'aime Le Fou, j'aime Edgar ("Pauvre Tom a froid..." ), j'aime les deux frangines Régane et Goneril (ça fait un peu noms de médicaments, non ?)...

C'était la dernière, et le public ne s'y est pas trompé, (la durée des applaudissements fut éloquente) qui ne semblait plus vouloir s'arrêter  Ils ont même rallumé dans la salle, au nième rappel, pour que les acteurs puissent voir la vibrante et bruyante émotion que manifestait l'auditoire. Et ça faisait plaisir,  l'émotion et la joie, en miroir, dans leurs yeux à eux aussi.

roi_lear

* : Quéquette visible
** : Quéquette assez longtemps visible

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